Il est curieux de constater que ce disque est quasiment absent du net français.
Aucun papier, aucune chronique, aucun commentaire, rien.
C'est injuste, à croire que la France ignore son existence, alors que pourtant, ce dernier est sorti chez New Rose en 1985, avant son édition américaine chez Questionmark records, puis chez Chameleon records.
De mon côté j'ai découvert ce disque, comme bien souvent, par hasard, au détour d'une lecture d'un Best avec Sade en couverture (le n°212 de mars 1986), dans les chroniques. C'était Gérard Bar-David qui s'y était collé. L'album était initialement sorti depuis plusieurs mois (novembre 1985) chez donc le fameux label-magasin français (parisien) New Rose. Au départ, au premier coup d'œil j'ai cru que Dramarama était un groupe français (à cause du label bien sûr mais aussi du titre de l'album). Je n'entrepris pas immédiatement la lecture de la chronique, d'autres disques m'avaient davantage interpellé comme celui de Minimal Compact "Raging souls" ou celui de PIL "Album". Ce n'est que quelques années plus tard (vers 88), en relisant mes Best, comme je le faisais souvent, que je pris le temps de lire enfin le texte de Bar-David. Depuis, j'avais découvert les Stooges, Television, Richard Hell (et ses Voidoids et la Blank generation), les New-York Dolls... Cette évolution et ces nouvelles connaissances me permirent de comprendre un peu mieux le groupe et son univers. Bar-David faisait référence à cette scène new-yorkaise pour décrire la musique de ce premier album. Je pris note, et je consignais le disque dans mon carnet d'albums à trouver, à acheter. Un peu plus tard, justement, un copain du lycée possédait l'album, sans doute l'éternel David G, mon "fournisseur officiel" à cette époque, je ne me souviens plus trop sur ce coup-là. Il l'avait en cassette enregistrée, j'en fis une copie également et je pus enfin l'écouter. Dès lors, je ne m'en suis jamais remis...
Il y a quelques semaines, alors que j'étais chez mon frérot dans sa boutique, comme traditionnellement je peux faire à chaque séjour chez lui, nous étions en train de découvrir des disques d'un lot qu'il venait de rentrer (plus de 846 pièces). Eric me sortit ce fameux Lp des Dramarama, en me demandant si je connaissais ce skeud, et qu'il était déçu parce qu'il était voilé, et donc vendable (car à l'écoute il passait très bien) mais pas au prix de sa côte originelle. J'en tombais de mon tabouret. C'est la première fois que je le croisais physiquement. J'aurai pu l'acheter en ligne depuis des années, mais vous connaissez désormais ma philosophie sur la construction d'une discothèque, où je privilégie la coïncidence, la providence, l'heureux événement. Eric le mit sur la platine pour me montrer qu'il passait correctement malgré son "gondolage" prononcé. Dès les premières notes de "Visiting the zoo", je replongeais dans mon adolescence, un retour de flamme inespéré, jouissif et salvateur. Depuis la disparition de mes cassettes, je n'avais plus trop eu l'occasion de l'écouter. J'avais bien téléchargé le disque, mais vous savez ce que c'est, les fichiers, ça vient, ça repart... D'autant que ce principe d'écoute ne me plait guère, voir pas du tout même. Le lendemain, après réflexion (sachant que je ne le retrouverai pas de sitôt), je demandais à Eric de m'amener le disque. Il était retourné à la boutique, alors que de mon côté je profitais du soleil et de la baignade.
Dramarama est donc (j'utilise le présent puisque qu'il est toujours en activité) un groupe américain originaire du New Jersey (comme The Smithereens d'ailleurs), qui a marqué la scène Rock alternatif américaine avec la sortie de son premier album "Cinéma Vérité" en 1985. Bien que cet album n'ait pas connu un succès commercial immédiat (commercial je dis), il s'est imposé, au fil des ans, comme un véritable trésor caché du rock des années 80. Avec une approche musicale oscillant peut être, entre le Glam Rock, le Punk, et la Power Pop, Dramarama a su capter l'énergie brute et l'âme de cette époque, tout en insufflant un style et une profondeur qui leur sont propres. S’inspirant autant du punk rock des années 70 que du rock alternatif naissant des années 80 ou du Velvet, la musique de Dramarama est caractérisée par des mélodies accrocheuses, des paroles introspectives et un sens du drame qui donne à leur style une tonalité unique.
Dramarama est le projet avant tout de John Easdale, il monte le groupe en 1982 et répète au sous sol du disquaire de son bled du New Jersey (Wayne exactement), chez Chris Carter, le bassiste (DJ, manager et producteur de renom par la suite), en compagnie de Mark Englert, deuxième guitariste après Easdale. Après plusieurs changement de nom, ils sortent un premier single "You drive me" en 83 chez Questionmark records, qui se fera remarquer. A cette époque la scène du New Jersey (The Smithereens, The Blases, Whirling Dervishes...) est soutenu par la radio WHTG 106.3. Un autre single voit le jour en 84, et le groupe s'étoffe d'un clavier et d'un batteur (le line up évoluera au fil des années). En 1985, ils signent je ne sais par quel concours de circonstances chez New Rose et sortent donc "Cinéma vérité". Rodney Bingenheimer, célèbre DJ de la radio KROQ-FM de Los Angeles, remarque le disque, en croyant d'ailleurs qu'il s'agit d'un groupe français (lui aussi) et diffuse des morceaux, dont le fameux "Anything, anything (I'll give you)", qui devient rapidement un hymne, en étant le morceau le plus demandé entre 86 et 87. Dans la foulée de cette "reconnaissance", le groupe déménage sur Los Angeles, signant sur un label plus solide : Chameleon records.
"Cinéma Vérité" puise ses racines dans une grande variété de styles musicaux : rock’n’roll classique, punk, new wave et glam rock. Cependant, ce qui en fait un album cohérent, c'est le ton désenchanté et souvent introspectif des paroles. Les thèmes abordés incluent la désillusion amoureuse, la quête de soi, et la volonté d’échapper à une réalité monotone. Il y a aussi une dimension cinématographique, comme le titre de l'album le suggère, avec des références culturelles et une esthétique sonore qui rappellent parfois des bandes-son de films noirs ou des récits de marginaux en quête de rédemption.
Les guitares jouent un rôle central dans cet album, oscillant entre des riffs accrocheurs et des atmosphères plus complexes. La production est brute et reflète l’authenticité du groupe, qui préfère l’énergie et l’émotion à une production trop polie. Il en ressort un son "garage", presque live, qui amplifie l’authenticité de leurs performances.
À sa sortie, "Cinéma Vérité" a été bien accueilli dans la scène underground, notamment grâce à des morceaux comme "Anything, Anything". Bien que l'album n'ait pas connu un succès commercial massif, il a été un point de départ pour Dramarama et a contribué à la popularité croissante du rock alternatif dans les années 80. Aujourd'hui, il est souvent cité comme un album culte de cette époque, et "Anything, Anything" est considéré comme l'une des meilleures chansons rock alternatives des années 80.
La production disque est marquée par son approche DIY (Do It Yourself), typique des groupes de rock alternatif de l’époque. Le son y est brut et l’énergie transparait clairement dans l’album. À bien des égards, cet album est un hommage à la scène underground américaine, tout en intégrant des influences du rock britannique des années 70. Les clins d’œil à des artistes comme David Bowie, The Rolling Stones et Lou Reed sont fréquents.
"Anything, Anything (I'll Give You)" est sans aucun doute le morceau phare de l’album et reste à ce jour le plus emblématique du groupe. Avec ses riffs de guitare nerveux et l'intensité de la voix de John Easdale, il incarne une énergie brute et un sentiment de désespoir amoureux. Les paroles racontent la frustration et la confusion qui accompagnent une relation chaotique, et l'urgence du morceau se reflète dans son rythme effréné. Cette chanson est rapidement devenue un hit des radios alternatives américaines (en particulier sur KROQ à Los Angeles), où elle est encore jouée régulièrement.
"Scenario" est un morceau qui a une vibe "New Wave" plus marquée, avec une basse dansante et une ambiance plus cinématographique. Il montre bien la versatilité de Dramarama, capable de jongler avec des sons plus atmosphériques tout en gardant une énergie rock bien ancrée. Les paroles parlent d’un désir de changement, d’un sentiment d’enfermement dans la routine de la vie quotidienne, ce qui fait écho à la frustration de beaucoup de jeunes adultes des années 80.
Sur "Some Crazy Dame" on retrouve des influences plus punk, avec un son plus brut et des paroles qui décrivent une femme mystérieuse et incontrôlable. Le morceau est rapide, court et percutant, capturant l’essence du Punk Rock avec une touche de rock’n’roll des années cinquante. "Emerald City" est une chanson un peu plus douce, avec des guitares acoustiques qui donnent une ambiance plus mélancolique. Les paroles font référence à une quête personnelle, une envie de s’échapper de la réalité pour trouver un endroit plus idyllique, peut-être une métaphore de la quête de sens ou de bonheur. Cette dualité entre réalité et rêve est un thème récurrent dans l'album, et "Emerald City" est l’une des chansons les plus introspectives de l'album.
"Femme Fatale" première reprise (du Velvet Underground donc) de l'album (en face A) " montre clairement les influences du groupe et leur amour pour le rock des années 60. La version de Dramarama reste fidèle à l'original, tout en apportant une touche plus sombre, avec une production plus brute et la voix rauque de John Easdale qui donne à la clé, une des meilleures interprétation de ce classique, à mon goût.
"Transformation" est un titre excellent, qui reflète une réflexion sur le changement personnel et les difficultés à trouver sa place. C’est un morceau qui résonne particulièrement à une époque où la quête d’identité et de transformation était omniprésente dans la scène musicale. On peut noter également la reprise de Bowie et de ce morceau "Candidate" de "Diamond Dogs", assez fidèle au titre original, comme pour "Femme fatale", peut-être plus brut, légèrement plus Rock. La voix de John Easdale, teintée de vulnérabilité et de passion, contraste avec celle de Bowie tout en respectant l'atmosphère sombre et mystérieuse de la chanson.
"Cinéma vérité" est marqué par une cohérence sonore qui traverse tous les morceaux. Dramarama a créé un son singulier. Les guitares saturées, la voix charismatique de John Easdale, ainsi que l'approche DIY de la production donnent une unité à l’ensemble de l’album. Chaque chanson, bien que différente en termes de rythme ou d’intensité, conserve cette signature sonore. Cette homogénéité rend plus difficile l’identification d’un morceau qui sortirait nettement du lot.
Chaque chanson semble émaner d'une urgence émotionnelle similaire, qu'il s'agisse de thèmes d’amour, de frustration ou de désillusion. Cette constance dans l’engagement émotionnel contribue à ce que l’auditeur ressente une intensité continue tout au long de l'album.
Les morceaux abordent des thèmes liés aux relations humaines, aux angoisses personnelles et à la recherche de sens dans un monde parfois désillusionné. Les paroles, souvent introspectives, sont portées par un lyrisme mélancolique et des récits d’expériences émotionnelles profondes. Même si chaque morceau explore ces thèmes sous un angle légèrement différent, le fil conducteur thématique reste omniprésent, renforçant l’impression d’un tout cohérent où chaque chanson pourrait être une facette d’un même récit émotionnel.
Comme beaucoup d'albums de l'époque, celui-ci semble avoir été pensé comme une expérience à part entière, où chaque chanson joue un rôle spécifique dans l’évolution de l'album. Bien que "Anything, Anything" soit souvent mis en avant en raison de son succès radiophonique, cet album ne semble pas conçu pour générer de « singles » isolés. Il s'inscrit dans une tradition d'écoute où l'ensemble prime sur les individualités. Cela reflète une approche artistique où l’écoute intégrale de l’album permet de mieux saisir son message et son atmosphère globale.
Aucune chanson de l'album ne sont pas en opposition les unes avec les autres, mais plutôt en dialogue. Des morceaux plus agressifs comme "Scenario" ou "Etc." sont équilibrés par des titres plus lents ou introspectifs comme "Emerald City" ou "Some Crazy Dame". Ces contrastes enrichissent l’écoute globale, tout en maintenant une complémentarité qui fait que chaque chanson semble appartenir naturellement à l’ensemble.
A noter, la cover, mythique avec la typo reconnaissable entre toutes, du nom du groupe et le visuel (photo) de Gerard Malanga, artiste, cinéaste, photographe et compagnon de route d'Andy Warhol. Il s'agit d'un portrait de Edie Sedgwick, l'égérie de Warhol justement, à l'histoire douloureuse et dramatique, icone de la Pop culture.
Au final, "Cinéma Vérité" est un album qui capture l’esprit d’une époque : une frustration adolescente, une quête identitaire, et une recherche désespérée d’évasion. C’est un disque brut, honnête et souvent poignant, qui illustre parfaitement ce qu’était Dramarama à ses débuts : un groupe prêt à tout donner, tant dans ses paroles que dans ses compositions, créant ainsi une connexion émotionnelle avec l'auditeur. C'est ce qui finalement se produisit chez moi, un beau jour de l'année 88, dans ma chambre d'adolescent, deux ans après l'avoir repéré dans Best. Un choc.
Quelle chronique frero ! j’ai donc réécouter chaque morceaux, merci pour ton eclairage pour le fond et le sens du projet moi qui ne comprend pas bien les paroles… cela fait sens avec la couleur et l’energie de cet album… terrible !