Souvent dans mes écrits sur la musique j'évoque la notion de rencontre. Voici l'histoire de l'une d'entre elle...
En 2009, dans le cadre des manifestations que j'organisais sur Rodez, en préambule de la sortie du disque "Erik Satie et les nouveaux jeunes", j'avais invité Hauschka alias Volker Bertelmann à venir se produire dans l'auditorium de l'école de Musique du département. Il figurait d'ailleurs sur le disque avec une pièce dénommée "Chat noir". Le concert fût éblouissant, et les quelques ruthénois réunis pour l'occasion, ont pu apprécier tout le talent du compositeur avec ses expérimentations et son piano préparé. Nous avons passé de merveilleux moments ensemble, je me souviens de l'avoir amené en urgence chez le dentiste car il avait une rage de dent soudaine. Il faut parer parfois à des urgences inattendues. Lors de nos conversations, Volker me parla d'un ami qu'il avait et qui habitait Berlin. Un ami pianiste, américain, dénommé Dustin O'Halloran. Il semblait étonner que je ne le connaisse pas. Il me soumis le fait de le contacter (me donna ses coordonnées, sur un bout de papier en le ramenant à l'aéroport) et de lui proposer de participer à l'hommage à Erik Satie. Il pensait qu'il serait partant, en m'expliquant que c'était un musicien talentueux et qu'il serait parfait pour le projet. Quelques jours plus tard, après le départ de Volker, je me mis à effectuer quelques recherches sur ce O'Halloran. Je découvris une discographie composée de trois albums, dont les les deux premiers étaient sortis chez Bella Union (le label des Cocteau Twins Simon et Robin), et le troisième, une BO sur un label américain. J'appris aussi que Dustin avait au préalable été membre d'un duo dénommé Devics, dont les albums là aussi avaient été édités chez Bella Union. J'entrepris d'écouter ses disques. Son univers musical m'enthousiasma immédiatement. Ses pièces de piano épurées, concises et mélodiques (toutes sous le nom d'"Opus") me parurent tout à fait adapter pour le projet Satie. J'entrepris de contacter Dustin (de la part de Volker) et je lui fis un mail afin de lui présenter mes intentions. Dustin me répondit assez rapidement en me confirmant qu'il était totalement d'accord pour participer au disque et qu'il allait me faire passer un morceau au plus vite. Ce qu'il fit en effet très rapidement. Je reçus "Opus 33", quelques semaines plus tard, après nos premiers échanges. Le titre était sublime. Quelques mois passèrent, "Erik Satie et les nouveaux jeunes" parut. J'organisais en octobre 2010 un nouveau concert à Rodez, dans la grande salle de la MJC locale, et cette fois-ci j'invitais Hauschka et Dustin O'Halloran. Les deux musiciens débarquèrent sur le tarmac de l'aéroport de "Marcillac-Rodez" en fin d'après-midi. Je les attendais avec ma petite Clio. Je fis donc connaissance avec Dustin véritablement à ce moment là. Je vis un homme absolument charmant, particulièrement élégant. Autant le dire la conversation avec Dustin ne fût pas aisée. Avec Volker (Hauschka), je me débrouillais tant bien que mal, autant avec Dustin je galérais pathétiquement. En bon américain (il est originaire de Los Angeles), je ne comprenais rien à son accent, et mon anglais étant ce qu'il est (c'est à dire misérable), cela n'avait rien de facile.
Mais bon on trouvait des solutions et je me dépatouillais tant que bien que mal. J'amenais ces deux personnages à leur hôtel, en attendant, le repas et le concert. Je crois que c'est dans ce sens que ça s'est organisé. Parfois certains artistes préfèrent manger après le live. Le concert fût mémorable. On m'invita à présenter les musiciens au public, qui pour l'occasion était venu en assez grand nombre (entre 250 et 300 personnes). Enfin il faut relativiser, nous étions à Rodez, avec un public plutôt enclin à suivre la programmation de la MJC les yeux fermés, plutôt que d'être venu à cause d'une connaissance particulière du répertoire des musiciens du soir. Bon Hauschka était déjà venu, mais je ne crois pas que son premier live est suscité un tel enthousiasme, que les gens étaient venus pour le revoir. Non, c'était le public fidèle de l'institution, et tant mieux. Ils pouvaient jouer devant une salle copieusement remplie (même si elle n'était pas pleine). A la fin de leurs prestations les deux artistes qui s'étaient illustrés sur ce piano à queue de la MJC, furent applaudis chaleureusement. Le moment était émouvant et comme suspendu. Je n'en reviens pas encore. Un petit triomphe provincial, comme j'en ai rarement vu. Je les ai rejoints dans les coulisses, où nous sommes revenus sur leurs sets respectifs. Dustin m'offrit un tee-shirt (que j'arbore régulièrement encore) et quelques disques, Volker aussi d'ailleurs. Puis nous sommes allés boire un coup ensemble, accompagnés de quelques proches. Le lendemain je ramenais les deux musiciens à l'aéroport. En 2011, Dustin sortit son album "Lumiere" sur le label 130701, la branche néoclassique de Fatcat records (le même label où Hauschka sortait ses disques, mais aussi Max Richter, Sylvain Chauveau, Johann Johansson, et bien d'autres). Ce disque était de toute beauté, plus orchestré. Dustin avait travaillé avec un quatuor de cordes, ce qui donnait une puissance mélancolique phénoménale à ses morceaux. Je vous invite à écouter notamment le titre d'ouverture "A great divide", qui à lui seul, résume mon propos. On retrouve sur ce disque des tas de personnages qui illustrent l'ambition de l'œuvre : Adam Wiltzie (de Stars of the lid), Christina Vantzou pour la pochette (elle aussi musicienne chez Kranky), Peter Broderick au violon, et à la production Nils Frahm et Johann Johansson; une sacrée équipe.
En mai 2011, j'invitais Dustin à nouveau à venir se produire à Rodez. Cette fois-ci, Dustin me fit négocier avec son tourneur les conditions de sa venue. Il s'agissait de l'agence de booking belge Toutpartout et son agent en particulier, un certain Felix. J'avais dans l'idée de le faire venir sur un week-end. Je réfléchissais à mon projet. Après quelques négociations avec son agent nous sommes arrivés à nous mettre d'accord. Dustin commençait véritablement à être un musicien reconnu sur la scène "Modern Classic", et il enchaînait des lives aux quatre coins du monde. Sa participation à la BO du film de Sophia Coppola "Marie-Antoinette" en 2006, sa signature sur FatCat et son album récent ont donné à Dustin une dimension internationale indéniable. Je propose à Dustin (et Felix son agent) un week-end intensif. Le samedi une participation à la nuit des musées au musée Fenaille et le lendemain, un concert au sein de la Chapelle St Mayme (pas très loin de Rodez) avec en prime une diffusion du film de Coppola "Marie-Antoinette".
Dustin arriva en avion le vendredi en fin d'après-midi. J'étais très heureux de le retrouver et j'étais toujours aussi laborieux dans la pratique de l'anglais. Je savais que la conversation ne serait pas facile entre nous. J'avais peur que cela finisse par l'agacer, d'avoir un interlocuteur aussi démuni en vocabulaire. Je lui avais réservé un hôtel, nous y déposâmes ses affaires, et je lui proposais de venir chez moi. Ma femme avait acheté tout un tas de spécialités locales. Nous sommes en Aveyron et dieu sait que nous en avons des produits valables. Heureusement Dustin n'était pas végétarien (mais je le savais c'était même un amateur de viande). Y avait de la charcuterie locale, du fromage (Cantal, Laguiole, Roquefort, Chèvre), des farçous, de l'aligot et du vin rouge... Un véritable buffet, très largement appétissant, un festin même. Dustin était drôlement content de goûter à tout ça. Il découvrit ma petite maison. Il avait d'ailleurs halluciné de l'endroit où je résidais. A l'époque nous étions, ma petite famille, dans un coin charmant du Causse Comtal, un coin secret, pas très loin de Rodez, mais préservé et caché. C'était dans un petit hameau. Dustin appréciait le lieu, en pleine campagne. C'était d'ailleurs incroyable d'accueillir, le bonhomme, ce dandy (dans le sens élégant), dans ce trou du cul du monde, lui qui fréquentait toutes les villes du monde, lui originaire de Los Angeles et qui habitait Berlin. Je crois que sur le moment, ce fût pour lui, une parenthèse enchantée.
Ce soir là, j'étais seul à la maison, ma femme travaillait et les enfants étaient ailleurs. J'avais invité pour l'occasion aussi Sylvain de Silent Whale Becomes A Dream (un groupe de mon label) et sa compagne. Je ne sais pas si Rémi (Akamatsu) n'était pas passé aussi... Je ne sais plus. Leur aide fût précieuse pour échanger avec Dustin. Ils parlaient mieux que moi l'anglais, et me servait d'interprète également. Il faisait beau, en cette fin d'après-midi. J'en profitais pour montrer les abords à Dustin, et nous sommes allés nous balader sur un chemin, sur le Causse, bordé de murets. Je crois qu'il était bien. Puis ensuite, nous avons commencé à boire l'apéritif, il s'intéressa de prêt à ma collection de disques. Il sortit quelques uns d'entre eux, notamment des trucs français type Georges Brassens, Brel, Piaf, en bon ricain en somme, et le charme de l'exotisme français. Ensuite nous nous attablâmes, et là encore, je crois que Dustin se régala et goûta à tous les mets sur la table. Dans la soirée je raccompagnais l'artiste à son hôtel, je voulais lui faire rencontrer ma femme, mais elle finissait tard et Dustin était fatigué (avion, rythme). Nous nous sommes quittés ce soir là, moi enchanté d'avoir fait découvrir mon univers quotidien, et lui repu (par les plats) et reposé par cette tranquillité et cette sauvagerie. Un instant de bonheur et de décalage, qui m'habite toujours aujourd'hui. Le lendemain, après une douce nuit, les hostilités allaient pouvoir débuter. Je laissais Dustin tranquille, se reposer et faire ses affaires (mails et ce qu'il voulait...). Puis, passés les intendances diverses (manger, se promener, présenter ma femme...), le moment du concert au Musée Fenaille approcha. Dustin allait s'y produire ainsi que Silent Whale Becomes A Dream (de mon label). Lui dans la salle des statues-menhirs, eux dans la cour Jouéry. Pas en même temps, mais successivement, l'idée étant de faire circuler le public dans le musée. La soirée, comme souvent lors des ces nuits des musées, fût exceptionnelle et magique. Elle reste dans les annales. Un monde fou fût au rendez-vous, Dustin illumina les statues-menhirs de son délicat répertoire, un piano à queue, au milieu d'elles, le public assis tout autour... Un moment de grâce. Silent Whale fit raisonner sa musique dans la cour, le public sur trois étages. On se serait cru dans une cathédrale. La nuit fût courte.
Au musée Fenaille, dans la salle des Statues-Menhirs...
Le lendemain il fallait se soucier du piano. J'avais négocié avec l'accordeur Serge Delbouis, qu'il vienne nous l'amener en début d'après-midi. J'avais mobilisé quelques connaissances pour nous aider dans cette délicate entreprise, à savoir faire rentrer ce piano à queue par la porte étroite de la Chapelle. Dustin était là, des membres de Silent et quelques autres. Je me rappelle de ce moment un peu tendu, où il a fallu basculé le piano sur la tranche et le faire passer. Qu'il était lourd. Une fois en place, nous n'avions plus qu'à attendre le public. Il arriva parcimonieusement, La Chapelle n'était pas pleine, mais pas vide non plus. Je présentais à nouveau Dustin, et je lançais le film "Marie-Antoinette". Curieux moment, où les spectateurs ont visionné ce long-métrage, dans ce cadre. J'avais dû demander l'autorisation de cette diffusion auprès de l'évêché, mesurant que cela pouvait heurter les sensibilités. J'avais obtenu leur accord. Après, Dustin commença son intervention, il avait mis une guirlande tout le long du clavier. Je me souviens, nous étions tous assis sur des bancs en bois, peu confortable. Ma femme était à mes côtés, et les enfants, les garçons, qui étaient âgés à l'époque de 6 ans je crois, s'étaient endormis à l'écoute de la musique du pianiste. Dustin les avait rencontré, et il semblait très enclin à la relation. Il chahutait avec eux. Je crois que c'est à ce moment là qu'est apparu l'expression "les fous doux"... Il les nommait ainsi. L'instant fût convivial. A la fin on bût un coup, et les gens abordaient Dustin, l'interrogeant sur son parcours, son travail, ses activités, l'avenir.
A la chapelle St Mayme
Et puis ensuite nous sommes allés manger. C'était dimanche soir. A Rodez, il n'y a pas grand chose d'ouvert à cette heure là. Nous avons atterri chez Bastide. Le cadre n'était pas terrible, mais au moins Dustin pouvait goûter à la bonne viande de l'Aubrac et à l'aligot. Là aussi je crois qu'il apprécia pleinement ce moment. Peut être que le décor lui rappelait les motels américains (Bastide c'est un bowling aussi en plus d'être un restau), qui sait... Je le ramenais ensuite à l'hôtel et le lendemain à l'avion. Et Dustin s'envola dans les cieux, vers d'autres destinations, d'autres concerts. Ce long week-end passé en sa compagnie, me rapprocha de lui. Je commençais à le connaître plus amplement. Malgré nos difficultés de communication, nous arrivions à nous dire des choses un peu profondes et intimes. Mais j'étais tout de même frustré, j'aurai voulu plus, et je pestais sur ma pratique de la langue plus que moyenne (même si l'organisation de ces centaines de concerts m'ont sans doute bien amélioré). Je me régalais également de trimbaler Dustin et de m'improviser "guide touristique" (j'ai toujours aimé faire ça avec les uns et les autres). J'essayais de lui expliquer et lui détailler toutes sortes d'anecdotes sur le coin, et je dois dire que j'essayais d'être inventif... Je patinais régulièrement dans mes explications, et Dustin en était me semble t'il à la fois étonné et parfois dépité...
L'année 2012 se déroula. Je restais en lien avec Dustin, par mail et je suivais son actualité qui s'accélérait grandement. Il composait à un rythme frénétique, notamment pour le cinéma.
A la fin de cette année là en décembre, un nouveau projet m'accapara. Dans le cadre de mes fonctions professionnelles, j'eus l'opportunité de programmer une date à La Baleine, à Onet le château, le nouveau lieu culturel de la commune. Son directeur de l'époque Mr Guichard Jean Louis (qui a beaucoup soutenu mon projet Satie) m'avait sollicité pour y proposer quelque chose, un plateau, et profiter ainsi de l'infrastructure, toute neuve, des installations, de la salle de 500 places. Après quelques temps de réflexion, je proposais à Dustin de revenir se produire. Il me demanda un peu de temps pour répondre. Il trouvait sans doute que cela commençait à faire beaucoup. Dustin en effet jouait en France mais uniquement à Rodez. Il aurait voulu sans doute mieux. Il commençait à connaître la ville et surtout je le comprends il désirait se produire dans une ville un peu plus à la hauteur de sa réputation. Étrangement , de mémoire il n'a jamais joué à Paris (sauf erreur de ma part, sous son nom propre en tout cas). Que faut-il en penser ? Que les parisiens manquent d'inspiration et de culture et de goût, sans doute... J'avais tout de même eu un papier de Sophian Fanen dans Libé pour la sortie d'Erik Satie et les nouveaux jeunes et la venue de Dustin.
Article dans Libé
Quelque jours plus tard, Dustin me fit son retour. Il était d'accord, mais cette fois-ci, il me posait des conditions plus élevées. Je devais finaliser la négociation toujours avec son agent de Toutpartout. Par ailleurs il me demandait de lui trouver un quatuor à cordes pour l'accompagner, que je lui trouve aussi un piano Steinway et que Francesco Donadello, un ami à lui (par ailleurs membre des fabuleux Giardini Di Miro) vienne avec lui pour réaliser la sonorisation. Dustin avait dû connaître Francesco du temps où il résidait en Italie (avant Berlin). Le challenge s'annonçait difficile. J'acceptais l'ensemble et surtout j'avais obtenu l'aval de mon directeur pour le financement de toute "l'opération".
Le plus dur fût de constituer ce quatuor. Je me suis mis en quête de musiciens, susceptibles d'accepter la tâche, d'accompagner Dustin sur scène et jouer son répertoire. Par ailleurs il me fallût trouver un piano Steinway et me le faire livrer et accorder. Je sollicitais également un artiste de mon label pour assurer la première partie. Je contactais Franck (Moinho) et lui proposait l'idée. Il accepta bien sur...
Moi et mon directeur tout heureux de présenter l'affiche du concert de Dustin avec Moinho à La Baleine en décembre 2012
Pour le piano, ce ne fût pas trop ardu. Je trouvais une boite sur Albi, qui me livra le piano, le jour même, et qui me l'accorda, et qui me le reprit à la fin du concert. Rien de trop complexe, il suffisait de payer. Pour le quatuor ce fût plus alambiqué... Je réussis à force de recherche (je passe tous les détails du nombre de coup de fils et d'emails) à trouver un jeune musicien du conservatoire qui accepta la mission. Il réussit à réunir trois autres musiciens. Dustin me fit passer les partitions des morceaux qu'il souhaitait jouer ce soir là. Je les communiquais aux musiciens pour qu'ils bossent en amont.
Le jour J approcha. C'était le 8 décembre. Dustin arriva la veille encore une fois, comme d'hab en avion. Je lui avais réservé une chambre à l'Hôtel Fontanges (joli hôtel luxueux, dans un ancien château, à deux pas de Rodez). Je l'avais accompagné avec ma petite bagnole, je ne sais plus si c'est cette fois là que les garçons étaient avec moi ou le lendemain, ou la fois d'avant les souvenirs commencent à s'estomper. Ils lui trimbalaient ses valises, tout excités, et lui jouant avec eux. Je me souviens qu'il les jetait sur son lit, et tout le monde riait comme des bossus. Dustin était ravi du cadre.
"Les fous doux"
Par contre de mémoire Francesco avait raté sa correspondance, et donc était toujours quelque part en Europe, je ne sais plus où. Dustin était inquiet. Moinho qui devait venir aussi, avait des soucis (sa femme devait accoucher d'un moment à l'autre) et le quatuor devait débouler le samedi même sans que je sache s'ils avaient un peu bosser ou non. C'était un peu tendu. Pourtant notre première soirée fût relativement calme. Nous mangeâmes en tête à tête à Fontanges, dans cette salle, à l'immense cheminée médiévale. Dustin profitait du moment, et avait réussi à mettre les soucis un peu à distance. Il dégustait la cuisine (gastronomique) du lieu, et j'essayais de bavarder avec lui le plus naturellement possible. C'est à cette occasion, que Dustin se livra davantage, et moi aussi d'ailleurs. Nous échangeâmes sur nos vies respectives, qui à cette époque là, n'avaient rien de simple. Nous nous retrouvions dans nos difficultés. Dustin se livra sur son parcours, sur ses déboires et autres rebondissements, quelques secrets, et j'en fis de même. La soirée fût riche en émotion et épanchements divers, après un digestif (ou plusieurs) siroté près du feu, je laissais Dustin dans les bras de Morphée.
Le lendemain matin j'allais chercher Dustin à l'Hôtel et la journée s'annonçait longue. Il fallait déjà aller récupérer Francesco qui était enfin là, après moult péripéties. Son arrivée ravit Dustin, qui sans doute se disait qu'il allait enfin pouvoir discuter véritablement avec quelqu'un, qui plus est, quelqu'un qu'il connaissait vraiment. Je les amenais à la salle. Dustin l'avait déjà vu la veille (je me demande si on avait pas bu des coups au bar avant d'aller à l'hôtel). Francesco pris possession de l'espace. Le piano arriva aussi. Le temps qu'il soit mis en place et accordé, Francesco se familiarisa avec le matos, la console et tout le reste. C'est à cette occasion où il diffusa des titres du premier album de For Carnation à fond les gamelles. C'était fantastique. Je lui demandais ce qu'il faisait, il me répondit, qu'il essayait toujours le matériel avec ce son, qu'il était parfait pour l'acoustique.
Enfin les musiciens, le quatuor arrivèrent un peu à la bourre. Dustin les prît sous sa coupe, et ils commencèrent à répéter. Il fallait bosser dur, et caler le set. C'était une prouesse, ils ne se connaissaient absolument pas, et pourtant il fallait que ça fonctionne, ils avaient la journée.
Moi vu dans haut, de tout en haut de la salle, je les écoutais, et je trouvais déjà tout ça grandiose. Pour le moment tout ça fonctionnait comme sur des roulettes. Il n'y avait que Moinho qui me faisait souci, rien ne semblait acquis quant à sa venue. Lui était moins loin, il venait de Pau (enfin Jurançon)... Mais enfin il fallait quand même rouler (3/4 heures de route en somme). J'attendais de ses nouvelles, quelque peu angoissé (c'est le lot des organisateurs d'événements, toujours à la merci d'un imprévu ou d'une catastrophe quelconque). La journée fût à la fois courte et longue, moi dans l'attente, Dustin et son quatuor à bosser, Francesco aux manettes. On trouva tout de même un moment pour manger tous ensemble. Enfin le soir arriva, l'heure du concert. Entre temps Moinho était enfin arrivé pour mon plus grand soulagement. Ce dernier avait dû lui aussi répéter, rapidement. Je crois que Franck était intimidé, mais ne le montrait pas non plus trop. Il était surtout je crois heureux, son fils Josef était né.
Le concert approcha gentiment. Je faisais les entrées avec des collègues, et une queue commençait à se mettre en place. Le monde semblait répondre présent. Il valait mieux, il y avait de l'enjeu, mais ça s'était une autre histoire. Puis l'heure sonna (21h). Quand je rentrais dans la salle, et que je suis allé m’asseoir aux côtés des enfants et de ma femme, la salle était presque pleine, pas totalement mais pas loin. Une première satisfaction, le concert pouvait débuter. D'abord Moinho pour un set assez court mais prodigieusement agencé. Franck livra les pièces de "Baltika" (ce disque que nous venions de sortir). J'étais tellement fier de présenter ce pianiste, méconnu et si talentueux. Un autodidacte du clavier, autant que Dustin d'ailleurs, ce qui les réunissaient et les rapprochaient finalement. Des musiciens venus de la Pop et du Rock, dont la sensibilité, la non virtuosité, leur conféraient un caractère pur et limpide ; un ramassis primitif d'émotions et de notes, et de mélodies, comme Satie d'ailleurs. J'étais aux anges. Moinho exécutait ses morceaux, et je m'en délectais. Franck fût chaleureusement applaudi. Puis ce fût au tour de Dustin et son jeune quatuor.
Dustin débuta avec le fameux "A great divide", le premier titre de "Lumiere". Le quatuor tenait sacrément la route, les jeunes étaient concentrés, face à Dustin. D'emblée, je compris que l'instant serait magique et inégalable. Je fus submergé de bonheur. Quelle magnificence. Je n'en croyais pas mes sens. Le concert fût un triomphe, un des grands moments, qu'il est heureux de vivre et de se remémorer. Ensuite les choses s’enchaînèrent rapidement, la soirée (Moinho, Dustin et moi même à discuter de musique), le lendemain, les départs, et tout était fini... Ces instants de grâce n'étaient plus que derrière nous. Et ils m'habitèrent longtemps...
Depuis 2012, je n'ai plus revu Dustin. Bientôt 10 ans déjà. Je le regarde pourtant de loin toujours. Nous avons vieilli, et le voilà sans doute désormais inaccessible. Dustin a composé pour le cinéma (avec Hauschka aussi souvent), je l'ai suivi nominé aux Oscars avec "Lion", sa signature sur Deutsche Grammophon, et surtout sa collaboration avec Adam Wiltzie au sein de A Winged Victory for the Sullen et ses 3 albums, et ses tournées mondiales (sorte de Stars of the Lid bis). Je ne sais pas si je le reverrais encore, quelque fois je lui écris, mais Rodez est bien loin désormais et ces réponses restent laconiques (comme nos échanges). Ce qui est sur c'est que ces instants restent gravés, cette rencontre, où j'ai croisé cet homme, avec le minimalisme de notre relation, qui la caractérise, et qui reste un marqueur de mon existence. Parfois il s'agit comme ça de se dire peu, mais de se dire véritablement. La rencontre est "inobservable, et incalculable" et elle m'a laissé comme un "être neuf surgit alors de moi et qui laisse derrière lui celui qu'un instant plus tôt je croyais être". "La rencontre ne peut se produire sans qu'il se produise quelques ébranlement affectif. L'émotion humaine est un mode de l'existence et, par là même, elle est toujours le projet d'une situation" dixit Buytendjik.
Je pense souvent à mon ami américain, Dustin... Et je regarde Instagram, et ses photos en Islande ou ailleurs.
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