En 1987, au hasard de mes lectures de Best, je fus interpellé par la chronique du premier album de The Smithereens "Especially for you" (sorti initialement en 86).
La "review" de Philippe Lacoche éveilla ma curiosité. A peine âgé de 14 ans, j'avais parfois, il faut bien l'avouer, beaucoup de mal à décrypter correctement les papiers sur ces disques... Le principe même de la critique ne m'était pas familier (ne le sera jamais réellement par la suite) et toujours compréhensible.
Les élucubrations de ces journalistes, au sujet de tel ou tel album, me laissaient régulièrement perplexe et circonspect...
Pourtant les quelques lignes de Lacoche annonçant la sortie de ce disque me poussèrent à franchir le pas, à savoir, l'acheter. A cette époque, j'avais un peu d'argent de poche, de mes grands-parents, j'en profitais pour acquérir des disques et des livres. Ou je demandais à mes parents, sans en abuser. C'était un temps, où le vinyl n'était pas encore mon format privilégié, et où j'étais dans un mode de consommation de la musique plus raisonnable, moins compulsif. J'étais allé à la Galerie du disque à Bourges, un disquaire que je fréquentais assidûment, et j'étais tombé sur cette cassette, la bien nommée "Especially for you", au nom si prédicatif et prémonitoire, comme un disque absolument fait pour moi...

Je me suis souvenu de cette chronique, lu quelques semaines plus tôt. De retour de chez le disquaire, je mis la cassette dans mon lecteur.
Et là ce fût la claque... Les morceaux s’enchaînaient et j'avais comme l'impression d'avoir fait l'acquisition d'un chef d'œuvre.
Ce terme est régulièrement utilisé dans les écrits des uns et des autres (moi le premier), mais ici il n'a jamais eu autant de sens... Une œuvre par essence intemporelle, et du coup inactuelle, qui traverse les années, ne faisant que se bonifier d'écoute en écoute.
C'est le génie du premier album. Les Smithereens, amené par le charismatique Pat Dinizio, officiaient depuis le début des années 80. Ils étaient originaires du New Jersey, et avant ce premier opus, ils avaient sortis deux Eps, qui en leur temps s'étaient faits remarqués, par quelques curieux (dont je ne faisais pas parti).
Autant vous le dire sans ménagement, "Especially for you", pour ceux qui le découvriraient aujourd'hui, est un brûlot, un bijou, une perle, que dis-je, un monument !
Kurt Cobain en son temps, ne s'en est jamais remis... La légende du rock'n'roll a régulièrement cité les Smithereens comme l'une de ses références absolue et majeure, avec notamment ce premier album.
Il a pris soin de noter tout ça dans ses carnets... Dinizio et ses acolytes, n'y sont pas allés par quatre chemins. Leur musique est tout bonnement époustouflante. A cette époque là je n'en revenais pas, tout seul dans ma chambre.
J'avais envie de crier au monde entier que je venais de découvrir un groupe de dingue, une musique qui m'habitait tellement, que je n'arrivais même pas à retirer la cassette de son lecteur. J'ai dû l'écouter des centaines de fois, consécutivement, sans aucune lassitude, la marque des grands disques, pour sûr !
Sorti sur l'énorme label californien Enigma records (où l'on va retrouver les premiers Red Hot, mais aussi Al Stevart, Poison, Dream Syndicate, Flaming Lips, les Cramps, les Johnnys...), fort d'une visibilité qui ne durera pas, et d'une édition internationale, ce premier album aurait dû faire des Smithereens un groupe de "stade". Je veux dire par là, un groupe populaire, et apprécié par un plus grand nombre, reconnaissant en lui sa magie et son talent. Ce ne sera au final qu'un succès d'estime.
The Smithereens c'est l'évidence Pop. Je crois que ce disque m'a autant marqué parce qu'il est tourné vers la Pop des sixties et en premier lieu celle des Beatles (mais aussi Buddy Holly ou The Move). Dinizio en était fan.
D'ailleurs deux albums hommage au groupe de Liverpool sortiront bien des années plus tard. "Especially for you" lorgne sans aucun doute vers cette période, "ça saute aux oreilles", faisant le lien indéniablement avec l'esprit indé des années 80.
Certains ont parlé de Power-Pop... C'est sans doute pour ça que ce disque a eu autant d'effet sur moi. J'étais encore juvénile, et encore marqué par les Beatles, l'une de mes premières découvertes musicales.
Dinizio et les siens, me ramenaient à ça, avec des mélodies imparables, des refrains ciselés, une voix suave, des chœurs fondants, des arrangements de toute beauté. Les morceaux se succèdent, et ils sont tous magnifiques. On s'approche ici de la perfection (c'est sans doute ça). D'ailleurs le premier titre "Strangers when we meet" met la barre très haut. ça commence très fort, avec ce morceau admirable et son côté rock'n'roll, ces chœurs aériens, la voix grave de Dinizio, et une ligne mélodique entêtante. Le reste est taillé dans la même veine, du grand art : "Listen to me girl", "Groovy Tuesday", "I don't want to lose you".
Je fis découvrir ce disque à mon frérot, et je fus ravi de constater que l'album eu le même effet sur lui que sur moi. Vous avez sans doute connu ça, la joie de partager le même enthousiasme.
Nous écoutions ça inlassablement, le soir aussi pour nous endormir... Je crois que je tombais définitivement dans les bras de Morphée au niveau de "Cigarette", superbe balade sur la face A, dépouillée, avec son accordéon et le chant envoûtant de Dinizio.
Sur la face B c'est tout aussi jouissif "Blood and roses" bien sur, morceau rapide et nerveux, mais aussi la balade "In a lonely place" avec la présence lumineuse de Suzanne Vega ou alors l'efficace "Behin the wall of sleep"...
Ce disque est produit par Don Nixon, qui venait tout juste, d'être auréoler de son travail sur les premiers albums de REM notamment.

Christophe Conte ex-journaliste des Inrocks a sorti dernièrement des bouquins (chouettes), énumérant des albums desquels nous sommes "passés à côté" à priori ("L'Anti Discothèque idéale pour nous proposer à nouveau des disques sublimes qui ont échappé aux sempiternelles estampilles de « classique », « incontournable», «monument»"), et qui sont pourtant incontournables, pour lui. Une démarche louable, didactique peut être quelque peu condescendante (mais je souscris entièrement). Si je pouvais m'inscrire dans une telle démarche, je suis certain que ce "Especially for you" serait en bonne place dans mon répertoire personnel.
Je vous invite bien entendu à découvrir également le reste de la discographie du groupe, cela vaut le détour véritablement.
Pat Dinizio est décédé en 2017, juste avant un retour annoncé, laissant définitivement The Smithereens au rayon des groupes cultes, à l'instar de type comme Alex Chilton (Big Star), dont on peut rapprocher les esthétiques.
Le groupe semble néanmoins continuer l'aventure, avec Marshall Crenshaw au chant et d'autres invités. Les trois membres fondateurs restants (Jim Babjak, Dennis Diken et le bassiste Mike Mesaros), ont même publié un 7' à Noël 2020 "Christmas morning", enregistré en 94 avec bien sur Dinizio au chant.
En 2009, je balançais toutes mes cassettes, sur un coup de folie et surtout dans l'idée de faire au plus vite. Quelques mois plus tard j'investissais dans l'achat du Lp, ne pouvant me priver plus longtemps d'une nouvelle écoute...
"Especially for you" : “This was like a greatest hits album from a band nobody’s heard of because we’d had those songs for five years. It still holds up.” – Pat DiNizio

La chronique dans Best... Avec d'ailleurs celle de Heaven 17, disque que j'avais réussi à choper un peu plus tard... A noter qu'ils se plantaient de label Philippe...
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