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J'aurai voulu être rock-critic... (Episode 2)

Dernière mise à jour : 31 janv. 2022

"Je n'ai ni le talent, ni le style mais j'ai le cœur" - CEC

"C'est pas facile d'avoir du style" - Annie Cordy, tiré de "La bonne du curé"

"Le critique insulte l'auteur : on appelle cela de la critique. L'auteur insulte le critique : on appelle cela de l'insulte" - Montherlant


Reprendre la suite du papier "J’aurai voulu être rock-critic" m’a paru dans un premier temps fastidieux. J’avais une flemme incommensurable. Comme souvent d’ailleurs. Cette flemme qui au final, vous empêche d’être productif, de mettre en œuvre vos idées que vous mûrissez lentement. Je fonctionne depuis longtemps ainsi, je remplis des carnets de notes, de projets, de spéculations diverses, de calculs. Je fais des listes conséquentes de trucs à faire, à ne pas faire. Mais il faut bien avouer que je n’arrive pas réaliser la plupart de ces initiatives. Quelque fois, par fulgurance, j’arrive à me mobiliser et une de mes résolutions arrive concrètement à voir le jour. Mais c’est rare. C’est ainsi, c’est mon fonctionnement, je suis victime de mon inefficacité redondante et redoutable. Je suis comme beaucoup de gens, victime de la procrastination, tendance parait-il très actuelle.


Ici il s’agit de donner une suite au premier article, mais pour raconter quoi, pour dire quoi ? Rien qui ne vaille, longtemps je me suis dit. Jusqu’au jour où l’envie est venue. Il s’agissait tout simplement de partir d’où je mettais arrêter et reprendre le fil. En 1999 je m’attachais à développer mon propre label, Arbouse recordings. Première sortie, le disque d’un parfait inconnu : "Musique rouge" d’Eglantine. Je restais dans le thème arboricole, ça me semblait cohérent (ah ah…). Je n’avais aucune trésorerie, aucun moyen, juste un peu de fric perso. Je faisais faire la cover à un ami (Yann alias Sink), et le reste c’était du bricolage. Un tirage CDR, sur mon PC (armé d’un graveur intégré), le logiciel Nero, des CDR vierges argentés, des sorties numériques couleurs, des boîtiers cristal CD, et me voilà prêt pour inonder la planète de la musique de Glandu (surnom donné à Eglantine), une musique électronique abrasive, iconoclaste et dissonante. Une électronique LoFi, un peu perchée et décapante. Dans la bio que j’avais réalisé, j’annonçais la couleur : un truc entre Third Eye Foundation et Autechre… Tout un programme… Je peaufinais ma présentation, en décorant la bio d’éléments scannés (une vraie feuille d’églantier, un vrai gratte-cul aussi), et voilà, j’étais fin prêt… Pour l’occasion, je gravais quelques CDR promos, et je m’attelais à leurs expéditions. J’avais au préalable établi une petite liste de personnes du milieu de la presse musicale : fanzines, magazines, webzines… Ces derniers commençaient à voir le jour. Je connaissais quelques gars, de par mes activités de fanzinat (avec @game dont j’ai parlé dans la première partie). Je n’avais évidemment aucune distribution. Je savais simplement qu’il me fallait promouvoir un peu le disque sinon je n’avais aucune chance d’en vendre quelques exemplaires, à part à la famille et aux amis (et encore l’expérience m’a montré que ces derniers vous soutiennent rarement). Je n’avais pas un carnet d’adresses et de contacts très achalandé. La tâche s’annonçait ardue. Et ce fût bien le cas. J’eus peu de retour. Mais tout de même suffisamment pour avoir le sentiment de ne pas avoir fait tout ça pour rien. Bien sûr, cela ne changea rien quant aux ventes du disque. Mais je réussis tant bien que mal à liquider le stock que j’avais réalisé (notamment lors des lives et autres conventions auxquelles je participais). Je me souviens de quelques lignes consacrées à l’album dans Octopus, Magic ! aussi. Des lignes mi-figue mi-raisin, ni trop enthousiastes, ni trop négatives. Un disque qualifié en gros de brouillon, et c’était bien le cas (moi je disais LoFi). Popnews, un webzine naissant était plus catégorique, et plus positif : « "Musique Rouge" donc, pour une musique passionnée à découvrir absolument sous peine de passer à côté d’un des grands disques de l’année." » Carrément ! C’était le début de l’aventure, un peu poussif certes, et le début de mon travail de promotion pour le label. Un travail qui m’est apparu assez rapidement pénible, frustrant, contrariant aussi. Je compris très vite, que la promotion nécessitait des moyens conséquents et beaucoup de patience. Il fallait un réseau à jour, une bonne endurance, une réactivité à toute épreuve, et de la conviction pour ouvrir les portes et séduire le "rock-critic". Bien sûr allez-vous me dire, "si le disque est bon (avec toute la subjectivité que cela sous-entend), ce n’est déjà pas si mal". Mais j'ai pu constaté à plusieurs reprises que ce n’était pas forcément le cas. La règle au tout début des années 2000 c’était que si ton label n’était pas distribué, il n’était soit pas traité, soit mis dans la rubrique "activités souterraines" avec quelques lignes jetées, reprenant de près ou de loin des bouts de la bio.

"Musique rouge" n’échappa pas à cette loi. Mais le bilan était tout de même assez flatteur. Peu de disques promos envoyés (car possédant un listing balbutiant), un artiste venu de nulle part (Rodez, personne ne connaissait), une musique de fou, lui conférant un côté hermétique, un label inconnu avec un nom de bouseux (un rock-critic parisien un jour m’a dit "Arbouse ? Art bouse tu veux dire ?") et au final quelques lignes par-ci par-là (je pense au papier de Julien Jaffré notamment, très bon critique et auteur de plusieurs fanzines et chroniqueur pour la revue Jade). Fort des quelques ventes effectuées, je pouvais m’atteler à la prochaine sortie. Elle se fît sans être trop préméditer. Je crois que la décision fût prise dans l’Aude, près de Montoulieu. En effet je crois avoir réussi à persuader, lors de ce week-end, Stéphane (Orgasm records, et membre d’Acetate Zero) de sortir quelque chose chez moi. Le premier album d’Acetate Zero était sorti ("Softcore paradise") et avait été remarqué. Il y avait eu un single avant et des titres sur la compile "Prosaical". Je crois qu’ils venaient aussi de sortir un Ep génialissime sur Intercontinental records, le label de Fred Paquet. Un Ep intitulé "Diabolus in musica", avec le titre éponyme et son sample tiré de "L’exorciste". Un morceau de dingue. Stéphane avait quelques titres de disponible, dont le fameux "Mill Valley revisited" et ses différents samples (Ride, Mingus…). Le projet vit le jour sous le nom de "Pieces in trouble"(Stéphane a toujours été très bon pour trouver les titres). Acetate Zero me délivra trois morceaux au total. Je proposais à Stéphane pour étoffer le disque de demander à des gars de remixer un des trois titres. Il accepta. Je sollicitais du coup quelques noms à l’époque relativement reconnus sur la scène indé. Le groupe anglais Rothko (de chez Lo Recordings, puis Too Pure), le musicien belge Köhn (par ailleurs membre de De Portables), Robert Lippok (membre de To Rococo Rot), D.Infusion (qu’on avait croisé sur Orgasm et sur "Prosaical", et qui sortira un disque sur Serpentine) et enfin Eglantine (pour ce dernier Stéphane n’appréciait guère le travail, mais m’autorisa à le mettre quand même). Pour le reste, même méthode que "Musique rouge", CDR argenté, boitier cristal, pochette réalisée par mes soins et édité à 300 copies. Je voyais plus large, "plus grand". Je savais surtout que le disque pouvait davantage se vendre. Acetate Zero c’était l’ouverture vers "une clique parisienne" assurée… C’est ce qui se produisit. Le disque était toujours distribué par mes soins, mais comme par enchantement celui-ci fût chroniqué dans la rubrique Ep/45T de Magic ! Je crois que c’était Greib qui s’y colla. Je ne connaissais personne à la rédaction de Magic! Autant Eglantine avait atterri, dans la rubrique des démos et autres autoproductions. Cette fois-ci c'était dans les "pages normales" de la revue. Etienne Greib était un copain de Stéphane et appartenait à ce microcosme parisien, évoqué plus haut. Les choses ont certainement été facilitée. Je ne m’en suis pas plaint, bien au contraire : au moins une chance d’avoir un bon papier. Je récoltais bien plus de chroniques cette fois-ci. Dans l’ensemble les remixs leur paraissaient anecdotiques, mais la sortie fût bien accueillie globalement. Il ne reste plus beaucoup de traces aujourd’hui, mis à part dans mon petit book perso. Ce fût sans doute pour moi la première sortie où je déployais autant d’énergie, autant de CD promo envoyés (enfin à mon échelle). Ces quelques chroniques traduisaient ce que Stéphane appelait à l’époque la mécanique promo dans Popnews lors d’une interview : "Si ensuite, le "Pieces in trouble" et le deuxième album ont fait parler d’eux, c’est plus la conséquence d’une mécanique promo que l’existence d’une certaine aura. En quoi cela est-il hypocrite ? C’est juste la marche normale et si peu importante des choses". Moi j’aurai dit les deux sans doute : l’aura et la promo, et les relations aussi… Enfin tout ça restait relativement modeste. Je pouvais désormais voir venir ou regarder un peu plus loin. Je décidais d’enfoncer le clou avec la parution de la compilation "Bucolique vol.1"(ça va bien avec Art Bouse) et son internationale d’artistes (Rothko, Hood, Billy Mahonie, Chessie, Twisted Science, Köhn, Acetate Zero…). Je finissais par décrocher une distribution nationale avec Chronowax et c’était l’opportunité de rentrer dans toutes les fnac de France et de Navarre, les Virgin Megastore et autres surfaces dites "culturelles". Pour le coup le plan promo prit de l’ampleur, mon carnet s’étoffant, je balançais du skeuds plus largement. Je crois que c’est à cette occasion que j’eus ma première chronique dans Les Inrocks (le graal…), et sur le très branchouille webzine parigot Chronicart, mais aussi Coda et bien d’autres. A l’époque une chronique dans les Inrocks, tout le monde voulait ça, en premier lieu les artistes. Paradoxalement ce n’était pas l’assurance de vendre plus de disques. J’ai appris ça par la suite. Par contre ça faisait plaisir au distributeurs, aux artistes, et c’était la satisfaction d’un travail bien fait. Je faisais tout ça de mon trou (petit village sur les bords de l’Aveyron à quelques km de Rodez), avec des moyens ultra limités, un internet qui se développait peu à peu et bien loin de Paris, le centre névralgique de la musique, de la musique indé aussi. La presse musicale découvrait mon label, et s’étonnait, du genre, "tiens un mec arrive à faire ça ? là-bas ? " Je n’étais évidemment pas le seul, des tas de mecs l’avaient tenté, ou le faisaient encore, mais de Province, et qui plus est de Province perdue (pas Lyon, Nantes ou Bordeaux), y avait moins de monde. Les parisiens trouvaient ça curieux, exotique… C’est aussi avec "Bucolique vol.1" que j’ai commencé à travailler à l’échelle internationale. Et là c’était la jungle. Outre des titres de presse connus, y avait tout un tas de trucs dont je n’avais pas connaissance et dont il m’était incapable de mesurer l’influence. C’était le parcours du combattant. En plus cette visibilité commença à m’attirer des mecs à la pelle, qui me sollicitaient pour que je leur envoie des disques, notamment des radios. Je devenais une boite à cadeaux… C’était le revers de la médaille.

J’ai traversé 22 ans d’activité d’édition phonographique, et j’en ai fait de la promo. Et quel boulot dégueulasse… J’ai même pensé sous-traité ce taf à un moment donné à des boites spécialisées, à des agences de promo, mais c’était hors de prix. Les types se gavaient et sans garantie de résultats (la promo n’est pas une science exacte, sauf si vous êtes fortunés). Je n’avais pas le budget pour ça. Alors je bricolais, jusqu’à aujourd’hui où je n’en fais plus du tout, pour plein de raisons. La presse n’est évidemment plus ce qu’elle était (les radios, n’en parlons pas), le label aussi. J’ai aussi été gagné par une certaine lassitude de ce cinéma. J’en ai connu des vertes et des pas mûres, des conflits, des accrochages, et quelques satisfactions. Je pourrais en écrire des anecdotes, plus ou moins sérieuses, ou plutôt jamais vraiment sérieuses, car finalement tout ce manège c’était pour le plaisir. De tout ce long parcours, voici ce que j’ai pu en retenir… Pas grand-chose… Quelques certitudes, quelques principes…

J’ai eu le privilège d’avoir quelques chroniques de "rock-critics" établis, elles ont toujours été bonnes dans l’ensemble, il y a eu celles de Greib (Magic !), de Brunner (pour Trax), de JD Beauvallet (pour les Inrocks), de Joseph Ghosn (Inrocks, rédacteur en chef aujourd’hui), de Marc Gourdon (Magic !, sans doute une des plus belles plumes qu'il m'est été donné de croiser, et les plus belles chroniques que j’ai pu obtenir), Stéphane Deschamps, Jérôme Provençal, Laurent Diouf (Coda), Reijasse pour Rock’n’Folk (là aussi c’était du copinage), Alexis Bernier et Sophian Fanen pour Libé, Odile de Plas pour Le Monde. Des chroniques, mais jamais vraiment plus. Pas d’interviews, pas d’articles, rien… Je ne parle même pas du label, jamais rien sur les artistes et projets défendus. Il n’y a que Magic ! avec quelques coupures pour Acetate Zero (toujours) qui a fait davantage. J’ai eu droit aussi à un article sur ww.lowman et la sortie de son premier album "Plain songs". Mais il faut dire que j’avais acheté un espace publicitaire, et qu’en plus j’avais réservé une plage sur le cd promo qui accompagnait la revue. J’avais négocié ça avec Franck Vergeade, le rédac en chef de l’époque et le chef de pub… Ce qui en dit long sur l’indépendance de la presse… J'allais oublié tout de même aussi les papiers sur les projets "Musique pour Statues-menhirs" et "Erik Satie et les nouveaux jeunes". J'en évoquerai la teneur un peu plus bas.


Sampler Magic!

Article dans Coda par Laurent Diouf

Je me suis toujours interrogé sur le désintérêt global de la presse musicale pour le travail que je pouvais réaliser. Un des exemples les plus probant de ce phénomène est Télérama. J’en ai envoyé des disques promo, là-bas… Souvent à l’attention de Gorin (François) ou Tellier (Emmanuel) ou même Cassavetti (Hugo) peut être aussi. Je n’ai jamais eu un seul papier. Jamais une seule chronique (avoir les 3 f c’était à l’époque le truc ultime pour les artistes, encore mieux que Les Inrocks), jamais même un retour. Que dalle. Rien, silence radio (ce qui les empêche pas de me pourchasser pour m'abonner)....

Une fois Gorin a évoqué brièvement Thousand&Bramier sur leur site. Mais c’est tout. Gorin ne devait pas aimer mes sorties (ni les autres), ne les trouvant pas assez signifiantes. Je lui envoyais des mails, mais ils restaient inlassablement lettre morte. Au moins il n'a jamais flingué les disques que je lui faisais parvenir, ce qui est moins pire que d'avoir eu un mauvais papier. Il y a eu d’autres situations du même acabit, je pense à Noise plus récemment, où là aussi j’envoyais systématiquement des disques et je n’avais aucun retour. Un jour, je ne sais plus pour quel disque, ne voyant toujours aucune prise en compte, je me décidais à faire un mail au rédac en chef, Olivier Drago. Le ton était agacé et amer. Je lui demandais au moins de me dire un truc, oui ou merde. J’ai alors eu droit à un message salé, me disant qu’il avait autre chose à foutre, qu’il était enseveli de disques, qu’il n’avait pas que ça à faire, de répondre à toutes les sollicitions. Il me glissa gentiment que les disques que je pouvais lui envoyer il s’en contrecarrait, et que désormais, je pouvais m’asseoir sur un quelconque papier dans leur canard… J’étais "black listé". Dommage pour ma gueule… Pendant longtemps je lui en ai voulu, boycottant de mon côté la lecture de la revue, et puis je me suis dit que finalement le gars faisait bien ce qu’il voulait, que l’on ne pouvait pas plaire à tout le monde. Je ne sais pas si je lui avais pris de pub s’il aurait changé d’avis… Cela dura un bon bout de temps, j’essayais de passer par un gars Bertrand Pinsac qui pigeait chez eux, il trouvait les disques chouettes mais dès qu’il disait que c’était des prods d’Arbouse, Drago coupait court, jusqu’au jour où miracle un disque de Marnitude fût chroniqué par un gars que je ne connaissais pas et qui avait dû recevoir le skeud par un autre intermédiaire (le groupe lui-même). C’est le seul papier à ce jour, que j'ai pu obtenir dans ce magazine.



En 2009, quand je concrétisais le projet "Musique pour Statues-Menhirs" (disque et soirée du même nom) en collaboration avec le musée Fenaille de Rodez, nous contactâmes la presse pour les sensibiliser. Notre volonté était bien sur qu'elle se fasse l'écho de notre entreprise (sortie du disque et premier événement live de musiciens du disque, avec Fennesz, Mira Calix, David Daniell et Mapstation (Stefan Schneider de To Rococo Rot, Kreidler). Nous avions convenu que se soit le musée qui contacte directement les journalistes, cela aurait certainement davantage de poids. Le musée prit de l'espace publicitaire dans des journaux généralistes et Sophian Fanen pour Libé, Odile De Plas pour Le Monde, et un mec de chez Mouvement (revue culturelle multidisciplinaire) furent invités tous frais payés, à venir à Rodez, au musée, assister à cette première soirée (il y en a eu 3 autres).

Le musée (plus que le label) et le projet du coup eurent pas mal de visibilité. Mais cette histoire ne fît que corroborer l'idée que je me faisais de la presse. Ici il s'agissait presque d'un publi-reportage, dont on pouvait douter de la sincérité et de l'objectivité. Je savais bien que tout paraissait plus simple, avec de l'oseille...

A contrario en 2010, quand je sortais le disque "Erik Satie et les nouveaux jeunes" (avec Richter, Broderick, Nils Frahm, Dustin O'Halloran, Pan American et tant d'autres), je mettais aussi sur pied de multiples événements autour du compositeur sur Rodez (expos, cinéma, performances, concerts)... Je me décidais à prendre un encart dans Les Inrocks en me disant que se serait vu par des auditeurs amateurs du musicien (avec le recul je me suis peut être trompé...). Par ailleurs j'envoyais une copie à Christophe Conte du disque (en me disant que j'aurai sans doute un papier). Après avoir laisser un peu de temps, je contactais le "rock-critic", en lui demandant si le disque l'avait interpellé. Il me répondit laconiquement, qu'il fallait qu'il l'écoute davantage. Et puis au final, il ne m'a jamais fait aucun retour. Cette fois-ci je mettais fait avoir, la pub n'avait pas payé... Comme quoi, il n'y a jamais eu de vérité. L'argent ne permet pas tout, toujours. Et certains supports sont plus indifférents que d'autres aux sirènes de la finance. Tant mieux, et tant pis pour moi cette fois là. Le disque passa inaperçu pour la rédaction des Inrocks (et pour bien d'autres d'ailleurs), et les concerts que je pouvais faire en terre ruthénoise n'intéressera absolument pas le microcosme parisien (et au delà) malgré leurs intérêts : Hauschka, Dustin O'Halloran, Rachel Grimes, Nils Frahm, Claire Chevallier, Astrïd...

Ces exemples significatifs tentent d'illustrer mon propos. Néanmoins ils ne peuvent pas résumer à eux seuls le fonctionnement d'une "filière" toute entière, et mettre en lumière toutes ces particularités. Qui plus est, ces "expériences" ne sont pas forcément représentatives, et il ne s'agit absolument pas de me laisser tenter par la globalisation de mon discours. Chacun peut avoir un avis sur la question...

Cependant, je n’ai jamais véritablement compris ce traitement, du label et de ses productions. Ma force de promo était sans doute bien trop dérisoire. Ma persévérance aussi (c’est un métier, quelque peu putassier). Mon budget aussi. Faire de la promo avec quelques CDR ne suffisait pas. Ah si j’avais eu du pognon, je pense qu’avec ça j’aurai pu faire en sorte que l’on me déroule le tapis… Mais ce n’était pas le projet, par nature et par obligation. Cette négation du label (enfin quasi) par la presse n’était pas dû qu’au manque de moyen, je ne pense pas (le cas Erik Satie et les nouveaux jeunes l'illustre). Je crois que la presse dans son ensemble, quel que soit l’époque, n’a jamais vraiment été curieuse. Elle a souvent vécu sur des faits établis, sur des projets rassurants. La presse de kiosque devait (et doit encore) vendre pour avoir du crédit, pour prétendre avoir de l’impact. Quand je travaillais dans la communication, nous consultions très souvent le répertoire OJD (désormais Alliance pour les chiffres de la presse et des médias) pour connaître les chiffres de tel ou tel support en fonction de ce pourquoi nous voulions communiquer) : audience, diffusion, taux de pénétration... Du coup la presse doit vendre, et pour vendre, il vaut mieux parler de choses qui font vendre. C’est une loi très simple (simpliste ?). Difficile d’évoquer des trucs obscurs, de traiter d’artistes ou de projets méconnus. Je parle généralement, et je dis quelques banalités. Mais c’est un constat. Il y avait les fanzines pour ça, qu'une poignée de lecteurs suivent… Bien sûr il y a eu des exceptions, mais rarement tout de même. Dans son immense majorité la presse n’a relayé (et continue) que des infos sur des projets bien repérés, bien identifiés et si ce n’est pas le cas (un premier album, une première apparition), portés par une structure qui met le paquet ou par l’approbation populaire (je pense aux artistes qui se révèlent par les réseaux sociaux désormais).


La presse a aussi perdu depuis longtemps cette fonction de "prescription", tout simplement parce qu’elle n’est plus lue. La presse est au plus mal, la presse musicale davantage encore. Plus personne n’achète de magazine traitant de musique. Y a qu’à voir le paysage actuel. C’est morne plaine. Tous les titres survivent. Leurs économies sont bien fragiles. Ils se réorganisent régulièrement, lancent des campagnes de soutien, cherchent des solutions pour continuer à exister : souscription, sur abonnement. Terminer l’époque des tirages colossaux, et de la mise en place nationale dans toutes les maisons de la presse de la nation… Terminer donc l’influence de la presse sur les consciences collectives, terminer leur dictature éditoriale. Y a qu'à voir tout le mal que se donne un mec comme Broussy qui essaye de sauver Magic! contre vents et marées. D'abord une relance classique (avec entre temps un changement complet de la rédaction), puis un numéro tous les deux mois, plus rien, puis un crowdfunding pour sortir une revue pour des abonnés... Pour la presse, maintenant, les choses se font sans elle, elle court après les trains. Il n’y a que les artistes, les musiciens qui y croient encore un peu, mais c’est bien les seuls… Désormais tout est possible (monsieur tout le monde s'improvise chroniqueur) mais noyé dans la masse. Interrogeons-nous sur ce rôle de prescripteur que la presse musicale de kiosque avait, fut un temps. Je l’avais abordé dans le premier épisode, à titre personnel, je dois reconnaître que j’en ai appris des choses par leurs intermédiaires. Normal j’étais neuf, je ne savais rien. Y avait tout à construire (et c'est pas terminé). Parti de contenu très généraliste (Best n’était tout de même pas un grand défricheur), j'ai affiné peu à peu mes recherches. Je lisais des supports variés, pour élargir mes investigations, pour découvrir de nouveaux horizons. Je n’étais pas grand fan de presse spécialisée (sur un style musical en particulier, type l’Affiche ou Rock Sound), je préférais les titres plus ouverts, où tout pouvait être traiter. Les débuts de Magic ! ou même des Inrocks un peu avant dans ma chronologie remplissaient bien à mes yeux cette fonction : pointus, divers à l’image de ce qu’était la musique dans ces années fin 80, début 90, protéiforme, multiple, faisant fi des courants et des catalogues. Mais c’était bientôt le chant du cygne. C’était le monde d’avant le net, celui où la presse avait encore ce monopole, de parler de musique et d’être les seuls à pouvoir le faire. Alors les "rock-critics" pouvaient bien se targuer d’être des passeurs, on n’avait pas le choix. Aujourd’hui tout un chacun peut le faire, pour le pire et le meilleur, souvent de manière quasi anonyme (à mon image).


Mais la prescription, revenons-y dessus. C’est quoi ? Quelle est la légitimité d'un "rock-critic" de faire ou défaire des "carrières" (j'exagère volontiers). D’un point de vue juridique c’est un ordre, une injonction, mais plus habituellement c’est une recommandation. Les "rock-critics" avaient ce "pouvoir" d’inviter l’auditeur à aimer tel ou tel disque (ça marche pour tout ce qui est critiquable), tel ou tel groupe, ou en tout cas participer à influencer l'auditeur sur ses choix. Certains, parce qu'un tel ou un tel écrivait un truc dithyrambique sur un disque, fonçaient dans leurs magasins pour se procurer la galette en question. C'était coutumier à l'époque. Aujourd'hui cela semble plus aléatoire, bien que certains "rock-critics" conservent encore une "fan base" conséquente... Allez savoir pourquoi Charles. La presse avait pour elle, à l'époque, le bénéfice d'être au courant de ce qui sortait (le vendredi vous savez bien) avant tout le monde, l'exclusivité de l'information. Désormais ce n'est plus le cas. Néanmoins, on peut s’interroger d’un point de vue déontologique sur la pertinence d’une telle position. Au nom de quel droit, un individu pouvait décider qu’un disque était magique plus qu’un autre ? Au nom de quel sacro-sainte idéologie pouvait-on croire à de telles allégations ? Comment pouvait-on à ce point s’oublier, ne pas se faire son propre point de vue, croire en quelqu’un comme si c’était la parole absolue. Je me suis toujours interrogé sur ce phénomène, et sur le côté science infuse de la critique. "Le rock-critic" a ce côté pédant, de posséder le savoir, de connaître la vérité et de vous prendre pour un idiot. Il possède ce privilège, celui du "bon goût", et fort de son savoir, il lui est parfois difficile de passer les portes, tant son ciboulot est immense . Un jour, j'ai eu l'opportunité d'écouter Manœuvre, par un concours de circonstances. Le mec était devant chez moi (une drôle d'histoire que j'évoquerai peut être). Et je n'avais jamais entendu un discours aussi mégalomane... Le "rock-critic" historique s'y croyait comme jamais, à ne parler que des Stones, et à servir des leçons à qui voulait bien les entendre.

Erik Satie (un personnage pour lequel j'ai beaucoup de considérations, vous l'aurez bien compris) de son temps en tira le même constat : « La poutre qui est dans l'œil de chaque critique lui sert de longue-vue pour apercevoir la faille qui est dans l'œuvre de chaque auteur. ». La critique ne l’avait pas épargné, et sa musique n’était guère apprécier… Bien qu’il constatait son caractère prépondérant (et qu’il devait regretter) : "Il y a trois sortes de critiques : ceux qui ont de l'influence, ceux qui en ont moins, ceux qui n'en ont pas du tout. Les deux dernières n'existent pas. Toutes les critiques ont de l'influence". L’exercice de la critique est délicat. Il faut se mettre, selon moi, dans la position de celui qui conseille, qui recommande, tout en stipulant que cela n’engage que nous même, et que l’on ne possède pas la vérité. Bien souvent les "rock-critics", forts de leur position se sont abandonnés à des avis peu objectifs, à des avis tranchés, à un manque flagrant de relativité. Je n’ai jamais compris le fait d’écrire sur quelque chose que l’on aime pas. Trouver des mots pour dire qu’un skeud est merdique (pour soi doit-on préciser) m’a toujours interrogé… Comment est-ce possible ? Quel est le sens d’une telle prise de position… ? Je pense aux écrits de Ungemuth par exemple ou aux "billets durs" de Conte. Ne vaut-il pas mieux ne rien écrire. Certains "rock-critics" ont eu la décence de me le faire savoir parfois, sur certains disques reçus. Mieux vaut se taire que de faire des bavardages inutiles, qui n’engage que son auteur... L’auditeur doit être le seul juge, il doit essayer d'avoir son propre esprit critique en fonction de ce qu'il est, sans compter sur celui d'un spécialiste. La musique a ceci d'unique c'est qu'elle parle à chacun de manière très différente, puisqu'il s'agit de sentiments et d'émotions. Ce sont des éléments presque primitifs, qui ne sont jamais similaires à ceux des autres. Le "rock-critic" n'est pas forcément dans le lien, il n'est pas dans l'humain, il est souvent dans la démonstration et l'étendue de son savoir. Il se positionne en expert. Comment peut-il espérer écrire quelque chose sur un disque et faire croire que ce qu'il a ressenti à son écoute parlera de la même manière à une autre personne. C'est un mensonge. Malgré tout dans mon parcours de lecture il m'est arrivé de croiser quelques plumes qui m'ont interpellé par leur style et leur forme didactique, je pense à des gens comme Christophe Basterra (rédac en chef historique de Magic !), ou Morvan Boury (j'aimais beaucoup son style dans Magic ! mais aussi Octopus), Marc Gourdon (dont j'ai déjà évoqué le nom), Beauvallet bien sur ou Philippe Jugé ou Jean Bernard André aussi... Le critique est pris dans cette tension permanente de "l'importance de l’objet de la critique et puissance du discours de cette dernière. Comme le remarquent Serge Cardinal et Michel Larouche, "toutes les formes de critique […] ont au centre de leur problématique un travail d’écriture au sein duquel se font écho le statut de l’objet et la validité du discours, dans un contexte de légitimation et de réception". Deux prérequis s’avèrent nécessaires pour qu’une critique rencontre un lecteur : celui-ci doit être intéressé par l’objet évalué (cherche-t-il à obtenir un avis ?) et considérer l’opinion de l’auteur comme valide (connaît-il ce journaliste, lui fait-il confiance ?). En somme, l’objet du jugement et la légitimité de celui qui l’émet constituent deux paramètres inhérents à la réception de tout texte critique." C'est Boris Krywicki qui le dit...


Mais reste à se poser la question cruciale, celle de la curiosité du consommateur de musique... Finalement a t'il besoin de quelqu'un qui lui dicte ce qu'il faut qu'il achète ?Aujourd'hui toujours autant qu'hier ? Eventuellement, y a qu'à voir en cette fin (ou début) d'année ces playlists innombrables qui circulent... La presse en est friande... On peut aussi s'interroger sur les systèmes de notations des magazines (Pitchfork est incroyable dans le genre). On peut aussi s’interroger sur l’indépendance du rock-critic et les liens qu’il entretenait (toujours ?) avec les attachés de presse des majors et autres labels, avec l’industrie musicale ? On peut aussi réfléchir sur la question du "jacobinisme" de la presse musicale. Autant de sujets qu'il conviendra d'évoquer lors d'un prochain épisode. J'arrive à la fin de celui-ci avec le sentiment d'avoir enfoncé des portes ouvertes, de mettre perdu dans ma pensée, et d'en avoir montré sa désorganisation. C'était une étape essentielle, à priori, pour tenter de la dérouler et de l'exposer.


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