Avec le recul, et mon demi-siècle derrière moi, je suis en capacité de dire désormais, que l’écriture est pour moi la meilleure forme d’expression pour développer mes idées. Comme Albert Potiron ne m’interrogera jamais, je m’interroge moi-même (haha...). Elle correspond mieux à mon esprit lent. L’oralité ne me convient pas. L’écrit me permet de prendre le temps, pour mon argumentation et le recul nécessaire. Dans la discussion, à brûle pour point ou même le débat, je suis rapidement dépourvu, je n’arrive pas à déployer mon raisonnement (du fait de mon apathie intellectuelle, de ma mollesse naturelle) et je suis assez vite pris de court par mon interlocuteur. L’écriture, à contrario, me permet de gagner un peu en hauteur, et d’élaborer ma pensée sereinement, sans contradiction déstabilisante. Bien sûr, cela ne veut pas dire que je sois talentueux dans cette pratique, mais au moins j’arrive à dérouler paisiblement mon raisonnement. Ce dernier peut parfois apparaître alambiqué et relativement tordu, la forme et le fond, sans grand intérêt, le style bien entendu assez conformiste voir maladroit, il n’empêche que c’est la formule avec laquelle je me sens le plus à l’aise. Chronologiquement, enfant, la lecture ne me passionnait pas. Enfin disons que j’étais plus enclin à lire des bandes dessinées qu’autre chose (Tintin, Astérix, Boule et Bill, les Tuniques Bleues...). Je lisais aussi les BD de mon père de Druillet (auxquelles je ne comprenais rien, mais où il y avait des femmes nues et des scènes osées) et surtout toute sa collection de "L’histoire de France en BD" qui me fascinait. Ma mère essayait de m’acheter des petits bouquins dans les collections "Folio benjamin" ou "Folio Junior", mais je n’accrochais pas, et cela me paraissait avant tout fastidieux. J’associais ça au travail, à la scolarité peut être. C’était un boulot de lire, pas un plaisir (sauf peut-être le Petit Nicolas). Les BD avaient un côté tout de même plus ludique. En 1982, lors de mes vacances d’été (la coupe du monde, la Bretagne…), mon père m’invita à lire "La guerre des boutons" et à souligner tous les mots que je ne comprenais pas, ensuite de chercher leurs significations dans le dictionnaire. Autant l’histoire de ce bouquin m’était très agréable, autant la recherche des mots m’était rebutante. Il y en avait tant. Je n’avais aucun vocabulaire. Je construisais tout. La plume de Louis Pergaud était singulière pour moi, étonnante, utilisant des figures de style, des mots (et des insultes d’ailleurs), qui ne m’étaient absolument pas familiers. Je possède encore cet exemplaire et je feuillette quelques fois les pages, en visualisant ces quantités de mots soulignés. Quel travail quand j’y repense…
Petit à petit en grandissant, vers la fin du primaire, le plaisir de lire commença à se développer. "La fameuse invasion de la Sicile par les ours" de Buzzati n’y fût sans doute pas pour rien. De la même manière, la rédaction, l’écriture donc, commença à m’intéresser. Ce fût le début de mes "premières créations littéraires". C’est la poésie qui me fût la forme d’expression la plus évidente, en premier lieu. Au fond de la classe il y avait plein de "Poésie Gallimard", que je feuilletais assidument, à la maison, mon père en possédait aussi un bon nombre. Je me plongeais dans ces ouvrages, avec ferveur. Je découvrais les poètes, décortiquait leur vie, et appréhendait leurs écrits aux allures curieuses, libres et pas toujours très simples. C’est ainsi que je me prie d’une passion sans limite notamment pour Pierre Reverdy. Je commençais à écrire des poèmes. Je me souviens d’un que nous avions co-écrit avec un ami, et qui avait été publié dans la revue de l’école. Je remplissais des cahiers. Quelques-uns d’entre eux furent publiés grâce au père de mon frérot et illustrés par une copine à lui, dans une esthétique proche des Poésie Gallimard justement : un grand moment de gloire. Je les vendais pour m’acheter des livres (pas encore des disques). La poésie me donnait entièrement satisfaction, d’un point de vue créatif. C’était l’occasion pour moi de m’exprimer librement, sans contrainte. Je l’ai pratiqué longtemps jusqu’au début de ma vie d’adulte. Durant ma scolarité c’est bien en français ou en philosophie que je me sentais le plus à l’aise. Je crois que je répondais à peu près aux commandes, sans être trop à côté de la plaque. Certains professeurs (une poignée) m’ont eu encouragé et avaient l’air d’apprécier mon "style" d’écriture, se sont bien les seuls qui en ont témoigné en tout cas.
En parallèle, je m’étais mis à la lecture forcenée de la presse musicale, essentiellement Best. Mais ça je l’ai déjà évoqué. Je découvrais des artistes, des groupes, sans avoir aucune possibilité de pouvoir y accéder (pas d’argent, loin de tout). Je lisais attentivement tous ces articles, chroniques de disques, brèves, news, dates de concerts, absolument tout. Je me délectais de toutes ces informations, je commençais à remplir des listes, puis des carnets de disques à posséder. Au fil du temps, j’appréciais des écritures plus que d’autres, certains auteurs, certains rock-critics. Je crois que cela tenait surtout au fait que certains "s’épanchaient" sur des veines musicales qui me parlaient davantage (New-Wave, Post-Punk, Garage, Pop…). Je pense notamment à Emmanuelle Debaussart une journaliste qui eut un impact considérable sur ma culture musicale (j’ai été très heureux d’apprendre qu’il en était de même pour Christophe Basterra rédacteur en chef de Magic !) mais aussi Georges Daublon dont je guettais les chroniques à chaque coup, Philippe Lacoche (c’est lui pour les Smithereens notamment) ou Gilles Riberolles... Naturellement j’ai commencé à écrire des bouts de lignes sur les disques que j’écoutais, je remplissais aussi des listes de groupes, et je les inscrivais sur mes sacs et mes trousses. L’achat par ma mère du livre "Le Rock de A à Z, dictionnaire illustré" de Jean-Marie Leduc et Jean-Noël Ogouz fût déterminant. J’avais là en ma possession un ouvrage qui répertoriait des centaines d’artistes et groupes, dans des styles variés, et c’était surtout une mine de ressources que je n’avais jusqu’alors jamais trouvé. J’ai continué à m’essayer à la chronique de disques notamment. Je maitrisais mal l’exercice, manquant tout de même de connaissances et de vocabulaires adaptés (je n’ai pas su pendant très longtemps ce que voulait dire éponyme par exemple), mais l’essentiel n’était pas là. Il s’agissait pour moi, et c’était une révélation, d’essayer de parler de quelque chose qui me touchait profondément. En ce sens cela rejoignait un peu la poésie. Je m’efforçais donc à essayer de traduire en mot les émotions que je ressentais à l’écoute de telle ou telle musique, tel ou tel disque.
Durant toute cette période, je n’ai jamais eu l’idée d’envoyer mes textes à des revues (Best). Cela ne m’a jamais traversé l’esprit. Par manque de confiance, sans doute, et par pure objectivité me semblait-il. Je n’ai jamais été satisfait de ce que je produisais, cela m’a toujours paru assez insipide, dénué d’intérêt et ne méritant pas de sortir de ma chambre.
Finalement ma première véritable expérience "sérieuse" d’écriture sur la musique est arrivée un peu plus tardivement, jeune adulte. J’ai déjà plus ou moins raconté cet épisode, dans un chapitre précédent. J’avais déménagé de région, ma situation personnelle était assez désespérante, et surtout j’avais un besoin de "consommer" de la musique, qui était devenu au fil du temps totalement addictif. Le seul problème, je n’avais pas un radis. Alors avec mon ami Manu nous avons monté notre fanzine. Tous les deux, lui à Tours, moi à Rodez. C’était un bon moyen, avions-nous imaginé, de "choper du skeuds" gratuitement. Très franchement, ce fût absolument le cas. Notre plan fonctionna parfaitement. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain bien sûr, il a fallu y travailler, avoir des contacts, être répertorier, adouber par les labels et autres maisons de disques. Cela aura nécessité de montrer patte blanche à tous ces attachés de presse ou promo, souvent des stagiaires, de passage. Il s’agissait de les convaincre malgré notre flagrant amateurisme. Manu et moi avions décidé d’établir une ligne éditoriale assez pointue, et parler en gros, de ce que nous écoutions chacun respectivement, de projets qui ne faisaient l’objet que de très peu de traitement, on appelait ça les "musiques déviantes" avec tout de même au début une approche plus soutenue des musiques électroniques alors en plein essor. L’affaire était vaste, tout ce qui sortait des sentiers battus. Nous sommes partis de loin, c’était une aventure entièrement "DIY", sans grand moyen. C’est Manu qui trouva le nom du zine (@game). La conception du premier numéro, un feuillet de deux pages A4 pliées en deux, fût à ma charge. Manu aimait ça aussi, mais j’avais l’avantage de posséder un ordi, et un logiciel de mise en forme. A l’époque c’était aussi mon boulot. J’avais un petit scanner main pour les photos, l’ensemble était en noir et blanc et la mise en page était assez sommaire. Le logo n’était pas encore abouti (il évoluera à partir du 3ème numéro je crois). J’avais écrit sur Ui, un petit article, et j’avais également consacrer quelques lignes à une structure du coin, qui venait de produire un groupe local qui sonnait très Indie ricaine (Moan). Manu avait fait un truc sur Photek de mémoire, sur Goldie et Squarepusher aussi, donc très Drum’n’bass. Lui me semblait plus à l’aise, je ne sais pas s’il avait déjà eu l’occasion de se prêter à ces types d’exercices, mais dans tous les cas il avait acquis me semblait-il tous les codes de la presse musicale. Il n’y avait pas d’interviews encore, que des petits articles informatifs et des chroniques. Mes écrits me semblaient minables, dans la forme. Mais ça me faisait plaisir, et j’y trouvais beaucoup de satisfaction. La chronique était pour moi la forme la plus délicate d’écriture. J’éprouvais pas mal de difficultés à écrire sur un disque, et sortir l’essentiel en quelques mots. La place nous manquait, et je devais être synthétique. J’avais une fâcheuse tendance à m’épancher longuement. Là il fallait faire court, direct, efficace.
Manu et moi étions des autodidactes, on apprenait sur le tas, même si Manu peut-être avait un peu plus de savoir-faire. Pour mon compte, je ne lisais aucune revue anglaise, ni NME, ni Sounds, ni Melody Maker, ni Wire. L’antithèse de tout ce que peuvent raconter les rock-critics (voir les livres d’Albert Potiron et ses entretiens avec la crème de la crème). Je ne m’étais qu’essentiellement nourri de Best. Rock’n’Folk, je trouvais ça trop linéaire et pas assez ouvert. Les Inrocks, j’avais découvert ça à mes 16 ans, et j’étais un inconditionnel de ces numéros mensuels. Je ne comprenais pas tout, mais j’appréciais la ligne éditoriale. C’est avec un numéro sur les Smiths que j’avais commencé (le n°18), acheté dans la maison de la presse de Marcillac-Vallon où j’étais en vacances. La couv sur un des groupes qui m’obsédait à l’époque, et cette mise en page minimaliste, noire et blanche, ces photos aux cadres épais (de Renaud Monfourny pour le coup) et ces longs entretiens, avec le slogan de Tati "Trop de couleurs distrait le spectateur", j’avais trouvé mon esthétique. Plus tard j’avais un peu feuilleté Rock Sound, mais la mise en forme me faisait mal au cerveau, et la ligne éditoriale me lassa rapidement malgré de bons trucs parfois (surtout tourné vers les States, à contrario des Inrocks). Mais du temps d’@game, je lisais désormais Magic ! (dont les 30 premiers numéros et plus, constituent à mes yeux ce qui se faisait de mieux dans la presse musicale en France avec les plumes de Christophe Basterra, Morvan Boury, Etienne Greib, Philippe Jugé...) et Vibrations et un peu l’Affiche aussi. Mon anglais était merdique, mais j’apprenais lentement. Manu m’avait conseillé aussi Octopus. Magic ! inspira la mise en page d’@game, sans aucun doute. Sur les deux premiers numéros, Manu était le principal pourvoyeur rédactionnel. Peu à peu, nous prîmes de l’aisance, surtout moi finalement. Le fanzine s’étoffa, et cela nécessita davantage de travail d’écriture, d’organisation. Nos contacts se développèrent, et notre crédit auprès des pros de la musique s’accentua. Je commençais à avoir quelques automatismes, je remplissais des feuilles de chroniques (ne parlons pas de Manu très prolifique) et je me soumis à l’exercice des interviews (ma première fût celle de Stéphane d’Orgasm records)et par téléphone aussi. Je crois que la première fût celle de Johnny L, un obscur musicien anglais, désormais totalement oublié, qui produisait à l’époque de la Drum’n’Bass sur XL recordings. Je crois que c’est Delabel qui distribuait le label, qui me demanda si ça m’intéressait. Un certain Arnaud Lefeuvre, un super gars, qui était stagiaire et qui écrivait pour Magic ! il me semble (en fait c'était Sylvain Collin, Arnaud lui travaillait chez Labels, précision de Nicolas Plommée). J’acceptais le challenge. Je ne pouvais pas envisager de la faire moi-même, j’étais trop mauvais en anglais. Alors il a fallu imaginer un plan. Je me mis à rechercher quelqu’un qui parlait couramment anglais. Par je ne sais quelle circonstance on m’indiqua une personne qui habitait à côté de mon bled, une américaine, mariée à un français. On me donna ces cordonnées. Je la contactais et lui expliquait l’histoire. Elle accepta. Le Jour J je me rendis chez elle (grosse baraque) et j’installais mon équipement audio pour enregistrer l’entretien. J’avais fait fabriquer à une boite un micro que je branchais sur le tel et que je reliais à mon ampli et mon lecteur de cassette pour fixer tout ça. J’avais au préalable préparer mon interview bien sûr et j’avais pris soin d’écouter ses skeuds. La formule fonctionna, j’avais un peu de regret de ne pas pouvoir intervenir en direct avec l’artiste. La nana me traduisit l’ensemble, s’aidant de la cassette. Je tenais là ma première interview en direct.
Les maisons de disques organisaient ce type d’événement, notamment pour les supports provinciaux, qui ne pouvaient pas venir à Paris et enchainaient au cul des autres les interviews dans un hôtel ou un petit bureau. Les artistes se prêtaient à ce genre d’activité, mais aussi au "Phoning" donc, c’est comme ça que les attachés de presse appelaient le truc. De nombreuses suivront : Labradford (enfin Mark Nelson) pour le n°5 aussi, Silver Jews (David Berman). Pour celle de Labradford justement, j’avais changé de traductrice. La précédente n’était pas disponible, elle me présenta une copine à elle, une canadienne. L’interview se déroula parfaitement, et j’étais drôlement impressionné d’avoir au bout du fil Mark Nelson. Par contre je fus surpris ensuite par la réaction de la traductrice qui me demanda de l’argent pour son travail. Je lui avais pourtant bien signifié que je n’avais pas un sou, que nous étions une association microscopique. Mais elle n’en démordait pas. Elle avait bossé, elle voulait être payer. Je ne lui ai plus donné signe de vie (un peu putassier du coup), et elle a fini par me lâcher. J’ai dû pour les prochaines m’organiser autrement, et c’est finalement avec un collègue du boulot que les autres purent se faire. Il maîtrisait bien la langue anglaise, et de mon côté, j’étais aussi plus confiant, et j’intervenais davantage. Celle de Silver Jews reste sans doute, l’un de mes meilleurs souvenirs. Je fîs aussi beaucoup d’interviews par mail (le développement du net nous facilita la vie, au début tout était plus compliqué). J’envoyais une série de questions à mes interlocuteurs, et j’attendais leurs retours. Cette forme avait le mérite de pouvoir développer le propos, mais manquait bien sûr de spontanéité. J’essayais de faire des questions, un peu élaborées, pour faire parler, et qui s’enchainaient assez naturellement. Je passais beaucoup de temps à travailler sur ça. Quelques fois les artistes ou groupes, répondaient très succinctement, c’était assez décevant et frustrant. Mais c’était le jeu ma pauvre Lucette… Ainsi Tarwater, Famous Boyfriend, Acetate Zero, Clair, Patton, Purr, Madrid, Mr Quark, des labels comme Sonore, Ici d’ailleurs s’y prêtèrent et bien d’autres…
Cette aventure @game durera quelques années. D'autres suivront. Avec le recul, à notre façon Manu et moi, avons essayé de transmettre notre passion pour la musique. Ce fanzine, ce n'était finalement que l'extension de nos propres échanges. Nous pouvions passer des heures à discuter de musique, de groupes, de labels. @game, c'était un peu ça, mais avec un plus grand nombre du coup. De mon côté, j'avais réussi à faire fi de mon amateurisme et de mon manque de légitimité. Je vivais du coup dans un espèce de dilettantisme. On ne critique que rarement les passionnés. Malgré mes lacunes et mes handicaps, j'étais arrivé à me dépasser, parler de musique, faire découvrir éventuellement, donner envie. C'est ce qui m'a toujours animé, et encore aujourd'hui continue à me porter.
A suivre...
P.S : je recommande la lecture du livre de JD Beauvallet "Passeur", qui à une bien autre échelle, illustre parfaitement ce propos.
Moi aussi j’aurais voulu être rock critic 🤪