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Martha and The Muffins "This Is The Ice Age" (1981, Dindisc)



Je m’étais promis d’écrire une petite bafouille sur ce disque, je m’y essaye pendant cette trêve des confiseurs. Je ne connaissais quasiment Martha & The muffins qu’au travers de leur premier album "Metro music" et leur succès "Echo Beach", que j’avais eu entre les mains plusieurs fois. Je trouvais la pochette excellente et son contenu plutôt intéressant, mais assez inégal sur la durée. J’arrivais à l’époque à le trouver assez facilement, et je le vendais dans mes bacs assez bien, pas trop cher. Il y avait quelque chose dans ce disque, mais je n’arrivais toutefois pas à le garder pour ma collection personnelle. Et puis, un jour, assez tardivement je suis tombé sur ce "This Is The Ice Age", dans un lot New Wave, plutôt bien fourni.

Sorti en 1981, chez Dindisc (comme les deux premiers Lps), un sous label de Virgin où l’on trouvait des groupes comme Orchestral Manœuvres in the Dark, The Monochrome Set, Modern Eon, cet album s’illustre encore une fois par sa cover particulièrement réussie (réalisée par Peter Saville), une constante chez ce groupe finalement. Ce troisième opus est produit par Daniel Lanois et le groupe lui-même. Martha & The Muffins est un groupe canadien, originaire de Toronto, formé en 1977 en pleine période Punk. Lanois (dont la sœur Josephine a d’ailleurs participé au projet et au disque comme bassiste) enregistre le groupe dans son studio de Hamilton, amenant sans doute le groupe dans des confins plus expérimentaux, dont il a le secret, annonçant sa collaboration future avec Brian Eno.


Quand j’ai mis le disque pour la première fois sur ma platine, je ne m’attendais pas à ça. Voilà un album que j’aurai à priori délaissé en d’autres temps, du temps de ma jeunesse.

Je pense que ce disque est tombé à pic, dans une période de ma vie, où je peux désormais appréhender des œuvres plus complexes en toute quiétude, comme je peux m’ébahir sur des choses dîtes plus faciles, sans culpabilité. C’est peut-être le privilège de l’âge, de se sentir avec des capacités de compréhension, une expérience, une distance et un recul pour mieux cerner et apprécier totalement.

Il faut le dire, ce disque est d’une modernité inouïe, un ovni comme on le dit dans le jargon du critique. "This is the ice age" est inclassable, intemporel, et très original d’autant que l’on sait qu’il est sorti il y a 42 ans. Martha & The Muffins va très loin cette fois-ci, au-delà de ce qu’ils proposaient précédemment et signent à mes yeux leur plus belle œuvre. Bon je ne connais pas réellement ce qu’ils font désormais, puisque le groupe est encore en activité (M+M), et il me faudra aller jeter une oreille à l’occasion. Mais voilà un disque, typiquement, qui ressemble à un joyau, dont on ne parle que très rarement, qu’entre gens avertis. Le genre de secret bien gardé, que l’on ne partage pas trop, ou qu’avec des personnes sûres, dont on connaît peut-être la finesse et le bon goût.


Le morceau d’ouverture "Swimming" annonce la couleur. Un titre hypnotique, ramassé, révélant une production des claviers et des percussions hors du commun. Les chœurs ont l’air de sortir tout droit de chez Stereolab et la voix de Mark Gane est captivante. La suite est pure merveille. On est tenté de convoquer des tas de références. Bien sûr Martha & The Muffins s’inscrit pleinement dans cette scène new-yorkaise de l’époque (Talking Heads, Polyrock), mais avec ses caractéristiques propres, ce son unique, intimiste et cette richesse musicale singulière. Je me demande si Broadcast, Pram ou Stereolab ont, dans leurs parcours, écouté ce disque, tant les liens semblent évidents avec ces différents projets, surtout avec la bande à Tim Gane (tiens un Gane comme Mark, hasard des choses). Tout laisse à le penser : dans le jeu, les voix (celle de Martha rappelle celle de Laetitia), et cette facilité à composer des chansons Pop avec des arrangements électroniques et expérimentaux de tout premier choix. Sur "Boy without filters", Gane chante à la manière d’un Sylvain Chauveau, sur ses reprises de Depeche Mode, avec des nappes et des effets magistraux. Et l’on reste ébahi par tant d’innovation, comme Fra Lippo Lippi (même époque, 1981), ouvrant la voie à cette scène Modern Classic, qui viendra bien des années après. Le très délicat "One day in Paris" chanté par Martha cette fois-ci, nous y renvoie également. Globalement, derrière cette apparente simplicité dans la production, les morceaux de cet album s’illustrent par leurs cohérences, leurs efficacités, les rythmes (basse, batterie, percus), les mélodies (claviers) et l’inventivité (effets, nappes, boucles). Le titre éponyme est un bijou de richesses instrumentales. "Three Hundred Years / Chemistry" le morceau final, en 7 minutes, fait la synthèse de tout l’album. L’humilité des Martha & The Muffins est bluffante, et la modestie évidente qui accompagne ces morceaux, confère à l’ensemble, une puissance, une portée, qu’ils n’avaient jamais imaginé sans doute. Ce disque devrait, à mon sens être, dans toutes les discothèques, toutes les collections. Il mérite d’être partager véritablement au plus grand nombre. Et l’on ne comprend pas vraiment comment "aucun spécialiste" n’en parle pas davantage ou ne s’en fasse plus communément l’écho.


Suite à ce disque et son insuccès, Dindisc se séparera d’eux. Martha & The Muffins venait de signer son œuvre la plus aboutie et la plus passionnante.


A noter que l’album a été réédité en CD en 2005, remasterisé et augmenté de deux morceaux bonus.






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