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Les inaperçus de la New Wave (3) : Original Mirrors (reflets retrouvés)

  • kocat
  • 7 nov.
  • 7 min de lecture

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Longtemps, Original Mirrors n’a été pour moi qu’un éclat oublié, un nom entrevu dans la constellation Post-Punk/New Wave, puis remisé dans l’arrière-boutique brumeuse de ma mémoire musicale. Je les avais découverts au hasard, un jour, dans ces bacs à vinyles d’occasion qu’on feuillette comme on exhume des fragments de nous-mêmes. Le premier album, sobrement intitulé "Original Mirrors" (éponyme donc), m’avait parlé comme rarement un disque le fait dès la première écoute : une pulpe vibrante de mélodies claires, d’éclats Pop bien taillés, soutenus par une section rythmique nerveuse, précise, presque féline. Et au-dessus, ce chant... une chaleur sous tension, un point d’équilibre entre l’ironie britannique et le lyrisme retenu.

C’était il y a longtemps. Trop longtemps sans doute. Car il est des disques que l’on croit posséder et qui finissent par nous posséder, tant ils viennent se loger en nous, à des endroits où leur perte devient un arrachement. Et puis il y a eu cet épisode de ma vie, un tournant brutal, une déchirure intime où il a fallu se délester, choisir dans l’urgence ce que l’on gardait, ce que l’on abandonnait. Ce disque des Original Mirrors, comme tant d’autres, a disparu dans ce mouvement, emporté peut-être par quelqu’un qui ignorait tout de ce qu’il représentait pour moi. Une perte presque dérisoire en apparence, mais il n’est que les collectionneurs pour comprendre ceci : certains vinyles, même modestement estimés sur le marché, ont la valeur d’un souvenir, d’un miroir, d’un instant amoureux entre une oreille et une mélodie.


Et puis récemment, ce fut le choc doux de la retrouvaille. Comme une lumière revenue, un disque retrouvé par hasard sur une étagère d’une solderie, comme si le passé m’avait regardé droit dans les yeux et m’avait dit : "Je savais que tu reviendrais." Je l’ai pris comme on rattrape la main d’un ami qu’on croyait perdu. Je l’ai reposé sur la platine, lentement. Et la magie a recommencé. Rien n’avait changé. Ou peut-être... tout avait changé autour.


Pourtant, Original Mirrors n’a jamais été des premiers noms qui surgissent quand on évoque l’Angleterre du début des années 80. Liverpool, Post-Punk/New Wave, explosion créative… On cite volontiers Echo & The Bunnymen ou les Teardrop Explodes, mais rarement eux. Le groupe s’est formé en 1979 autour de Steve Allen et Jonathan Perkins (de XTC), rapidement rejoints par un jeune guitariste-compositeur déjà brillant, Ian Broudie (qui officiait dans Big In Japan), dont l’ombre va planer sur tout le projet.

Ils sortent "Original Mirrors" début 1980, sur Virgin – un album presque parfait dans sa maîtrise. Une Pop nerveuse, sous haute influence Post-Punk, mais à la production d’une clarté étourdissante. Tout y est à la fois tendu et lumineux. "Flying", "Sharp Words", "Boys Cry (What a Fool I've Been)"... Chaque titre semble avoir été conçu pour affirmer la singularité du groupe : pas de grands élans sombres, mais une sorte de désinvolture tendue, un mélange rare de maîtrise Pop et d’intelligence arrangée, dont peu de groupes à l’époque savaient déjà tirer parti. Mais ce qui frappe surtout, c’est la guitare de Broudie – claire, mélodique, jamais bavarde. Déjà, quelque chose souffle de son futur.


Car Ian Broudie n’est pas resté là. Quelques années plus tard, il lancera Care, groupe sous-estimé mais élégant, avant de fonder The Lightning Seeds, avec lesquels il atteindra enfin la reconnaissance grand public, notamment grâce à la pop radieuse de "Pure" ou "The Life of Riley". Entre temps, il devient producteur recherché, façonneur du son de toute une génération, de Echo & The Bunnymen à The Fall, des Icicle Works à Subway Sect. On retrouve toujours cette même touche trouble : une clarté mélodique, un vernis Pop qui recouvre des structures en tension, un équilibre entre lumière franche et ligne trouble.

Mais qu’est-ce donc que ce premier album, sinon l’écrin exact de cette esthétique à venir ? Un disque que l’histoire n’a jamais su bien classer, éclipsé par les géants, mais qui porte en germes ce que Liverpool donnera de meilleur à la Pop anglaise dans les dix années suivantes.


Il y a, je crois, une poésie involontaire à aimer des groupes mineurs, des disques oubliés, des trajectoires brisées. Dans une époque saturée d’objets "cultes" préfabriqués, de playlists surdéterminées, retrouver "Original Mirrors", c’était retrouver un geste analogue à ce qui me forme depuis toujours : arpenter, chercher, préserver. Je n’aime pas les objets pour eux-mêmes, mais pour ce qu’ils contiennent de nous.

J’ai reposé le disque sur la platine, j’ai abaissé le bras. Il y avait du temps entre ces deux écoutes – peut-être 20 ans, peut-être toute une vie – mais le disque, lui, n’avait pas bougé. Il était là pour me dire que ce que l’on est ne se réinvente pas, mais se réveille parfois.

Et soudain, "Boys Cry" résonne, et c’est comme si tout cela avait un sens. Les larmes ne sont pas seulement des aveux. Elles peuvent être des retrouvailles.


Les Original Mirrors ne sont pas un groupe culte au sens public. Ils le sont au sens intime. On ne les écoute pas pour le prestige, on les écoute pour ce qu’ils révèlent en douceur : des zones en nous, des éclats dispersés, la vérité d’une jeunesse musicale sur laquelle on ne met peut-être jamais les mots.

Ils sont, finalement, ce que leur nom dit.

Des miroirs. D’origine.


Réécouter "Original Mirrors", ce premier album de 1980, c’est retrouver une forme de Pop à la fois nerveuse et lumineuse, où chaque titre offre une variation subtile sur un même socle esthétique, tendu entre spontanéité New Wave et rigueur Pop justement.

"Flying", qui ouvre le disque, vous attrape immédiatement par sa ligne de guitare anguleuse, presque aérienne, contrastée par la rythmique sèche et tendue. La voix de Steve Allen, à la fois ténue et pleine d’aplomb, donne le ton : ici, on ne chante pas l’héroïsme adolescent ou la mélancolie retrouvée – on chronique un instant précis, un battement de l’époque, sans emphase inutile.

"Sharp Words", avec son ironie nerveuse et ses mélodies en zig-zag, illustre cet art de la tension distillée. Tout s’y joue dans l’équilibre fragile entre distance et intensité, chose rare à cette époque entre Liverpool et Londres, où tant de groupes cherchaient à créer l’événement en surjouant leur urgence. "Original Mirrors", eux, offraient déjà une forme de retenue, une élégance presque désinvolte.

"Could This Be Heaven?" est une Pop song lumineuse, marquée par la guitare cristalline d’Ian Broudie et une rythmique délicatement posée et efficace. Steve Allen y chante avec une émotion pudique, comme s’il hésitait à formuler pleinement la possibilité du bonheur que suggère le titre. Le morceau plane dans un équilibre fragile entre mélancolie et éclat, offrant une parenthèse suspendue où l’on entrevoit fugacement un sentiment de plénitude, sans qu’il ne soit jamais totalement affirmé. Une parfaite illustration de cette Pop tendue, élégante et introspective qu’Original Mirrors maîtrisaient avec une discrétion admirable.

Et puis il y a "Boys Cry (What a Fool I've Been)", sans doute le morceau le plus emblématique, à la fois hymne d’une masculinité pudique et réflexion ironique sur la vulnérabilité. Le refrain, posé sur une ligne mélodique ascensionnelle parfaite, est un appel suspendu qui capture tout ce que ce disque contient de paradoxe : l’élan naïf d'une Pop que l’on n’a pas le droit de qualifier de légère, tant elle porte en elle un poids existentiel discret.

Enfin "Feel Like A Train" est un morceau au rythme lancinant et maîtrisé, où la pulsation évoque la marche régulière d’un convoi en mouvement. La guitare d’Ian Broudie y distille des motifs nerveux, tandis que le chant de Steve Allen mêle urgence contenue et clairvoyance mélancolique. Le titre avance comme une métaphore du temps qui file, à la fois mécanique et intime, porté par une énergie sobre mais irrésistible. Une pièce charnière de l’album, à la fois tendue, dynamique et subtilement habitée par l’inquiétude moderne.

Là où d’autres se seraient contentés d’un son brut ou de l’abandon Punk, Original Mirrors façonnent un style où tout est déjà peaufiné, affûté. Tout respire une précision quasi-maniériste, signe sans doute de la présence, même discrète, d’Ian Broudie, artiste de la justesse musicale.


En 1981 sort "Heaven Looks Down", second album du groupe. Broudie y est toujours présent, mais quelque chose a changé. L’élan initial semble s’être recomposé en direction d’une Pop plus lisse, moins fiévreuse, avec des arrangements qui lorgnent vers ce que The Lightning Seeds fera bien mieux une décennie plus tard. C’est un disque agréable, parfaitement maîtrisé, mais on a le sentiment qu’il a perdu le frisson particulier qui animait le premier – celui d’un groupe Post-Punk en équilibre, prêt à basculer du bon côté du chaos.

Et puis plus rien. Original Mirrors disparaît, englouti sous la vague Synth-Pop des années à venir et l’ombre blessée de Liverpool 1980. On retrouve des membres un peu partout, Ian Broudie bien sûr, qui poursuivra son chemin jusqu’à devenir le producteur culte d’une Pop britannique assumée, humble, forgée dans les studios plus que sur scène (il aura un regard très critique sur Original Mirrors, jugeant cet épisode assez anecdotique).

Les autres disparaissent des radars (enfin poursuivront dans de multiples projets, relativement mineurs, à noter que le batteur Peter Kircher rejoindra étrangement Status Quo), et le groupe devient cet éclat qu’on croise, surpris, dans les bibliographies les plus précises. Une étoile filante.


Retrouver Original Mirrors aujourd’hui, c’est se retrouver soi-même, quelque part. Les disques que l’on perd et que l’on retrouve plus tard nous rappellent la seule vraie leçon de toute passion mélomane : rien de ce qui nous a touché, profondément, ne disparaît jamais vraiment. On peut les ranger, les vendre, les oublier, les perdre même. Mais leurs sillons, eux, demeurent tracés, quelque part, en nous.

Ce n’est pas un hasard si, en posant à nouveau Original Mirrors sur la platine, c’est toute une partie de ma vie qui s’est remise à tourner. Ce disque m’a accompagné comme un miroir silencieux, un témoin discret de ce que j’ai traversé, abandonné, retrouvé. Il m’a renvoyé ce que je n’avais jamais vraiment osé regarder en face : que parfois, la nostalgie n’est pas une maladie de l’âme, mais une façon de fermer la boucle.

Quand la fin du dernier morceau résonne, on entend presque le bras de la platine remonter, dans un léger soupir mécanique. Ce son, si faible, est celui de la fin d’une écoute. Mais aussi, peut-être, celui d’un recommencement.



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