top of page
Rechercher

The Waterboys "s/t" (Chicken Jazz, 1983)

  • kocat
  • 25 juin
  • 5 min de lecture


C’est une histoire qui commence entre les gouttes. Une histoire d’embruns et de chansons, de brumes écossaises et d’éclats d’âme. Avant que les Waterboys ne deviennent ce fleuve libre et majestueux qui mêle folk celtique, gospel et rock païen dans les années à venir, ils furent d’abord une source plus secrète, un ruissellement plus contenu, mais tout aussi habité par le mystère. Le premier album éponyme, sorti en 1983, est un disque de commencement, de promesses, de solitude lumineuse. C’est aussi le manifeste d’un jeune homme au nom déjà ample comme un vers : Mike Scott. Avant de fonder les Waterboys, il traînait son aura de poète maudit à Édimbourg, jouait dans un groupe appelé Another Pretty Face (une poignée de singles), puis plongeait dans le néant des labels sans lendemain, et un retour en Ecosse.


Il y a des débuts qui ne sont pas des débuts mais des surgissements. On ne les entend pas arriver, ils s’installent dans les interstices du monde, à contre-jour, portés par un souffle ancien. En 1983, les Waterboys apparaissent ainsi, non pas comme un groupe parmi d’autres, mais comme une brèche. Non pas comme une carrière qui commence, mais comme un appel. Mike Scott, silhouette fine, regard fiévreux, plume mystique, vient de traverser des années de tâtonnements : le punk, les labels indécis, les groupes éphémères. Mais ce qu’il cherche n’est pas un son : c’est une voix. Une manière d’habiter la chanson comme on habite un rêve. Il lit Rimbaud, Yeats, Blake. Il écoute Van Morrison comme d’autres lisent les Écritures. Il veut faire de la musique non un art de plaire, mais un vecteur de feu.


Enregistré presque en solitaire (produit par lui même, il joue presque tout, 3 bassistes différents), ce premier album des Waterboys porte pourtant un nom de groupe. Ce nom, il l’a cueilli dans une phrase de Lou Reed (dans la chanson "The Kids" de "Berlin"), mais il aurait pu l’entendre dans une vision. Les Waterboys, ce sont ceux qui vivent au bord de l’eau, entre deux rives, dans le mouvement permanent, la fuite, l’écho. Ceux qui entendent encore les voix dans les vagues. Ce disque-là ne ressemble pas aux suivants : ni aussi ample que "This Is the Sea", ni aussi bucolique que "Fisherman’s Blues". Il est tendu, urbain, mélancolique, crépusculaire. Il n’a pas la foi triomphante, il a la foi inquiète. Celle qui précède les grandes traversées.


Dès les premières secondes de "December", on entend un homme qui marche seul. Les accords s’égrènent comme des pas dans la neige, et la voix de Scott flotte au-dessus, entre supplication et incantation. Il n’y a pas de refrain, pas de ligne claire. Il y a un souffle, un abandon. Les mots parlent de lettres brûlées, de souvenirs qui saignent, de saisons qui s’effacent. Et pourtant, tout est vibrant. Le morceau est comme suspendu dans une lumière grise, brumeuse. Il n’impose rien, il expose une faille.

Le disque semble fait d’éclats, d’instants volés, de visions griffonnées dans un carnet de bord. "A Girl Called Johnny", hommage voilé à Patti Smith, pulse d’un battement presque dansant, mais reste hanté. C’est une chanson d’amour adressée à une ombre, à une sœur d’âme, à une fée punk. Scott y déborde, pousse la voix, ose des intonations théâtrales. Mais rien ne sonne faux. Il n’imite pas, il invoque.

La face A se poursuit avec des compositions à l’allure erratique, presque maladroite parfois, mais d’une intensité constante. "The Three Day Man", plus nerveux, frappe par sa tension contenue. Il y a là quelque chose de Bowie époque Low, un groove brisé, un chant mi-posé mi-hurlé, une volonté de brouiller les pistes. Mike Scott n’est jamais là où on l’attend. Il ne cherche pas à séduire, il cherche à transmettre une fièvre. Ce n’est pas le rock d’un faiseur, c’est celui d’un possédé.


Mais c’est dans la seconde face que le disque s’épanche vraiment. Là où il abandonne les contours pour se laisser emporter. "I Will Not Follow", morceau méconnu, est pourtant une déclaration essentielle. Le refus d’imiter, la solitude choisie, le refus des compromissions. Il y a dans cette chanson une fierté nue, une sorte de serment secret. Et cette voix qui frôle parfois la rupture, comme si chaque mot arrachait un morceau de silence.

"It Should Have Been You" est un sommet étrange, un faux morceau de rupture, une litanie presque menaçante. La basse y creuse un sillon, les claviers l’enveloppent comme une brume noire, et la voix de Scott devient rauque, grave, accusatrice. Ce n’est pas une plainte, c’est un règlement de comptes. Il y a quelque chose de presque dylanien, mais dans un miroir tordu. Le morceau se referme sur une incantation, un ressassement. C’est une blessure transformée en poème. Il n’est plus question d’amour ici, mais de tension, de trahison, de colère rentrée. Le morceau tourne comme une obsession. Il accuse, il rumine, il refuse de s’apaiser. C’est l’une des pièces les plus sombres de l’album, et sans doute la plus humaine.

Et puis vient "The Girl in the Swing", où la grâce revient. On y sent l’émergence de la dimension mystique du groupe. L’amour n’y est plus chair, il devient apparition, extase. Les arrangements y sont simples, mais l’émotion affleure à chaque note. Le chant est comme murmuré aux anges.

Et enfin, l’étrange et puissante traversée qu’est "Savage Earth Heart". Plus de six minutes de déferlante, de transe, d’appel sauvage. Ce n’est plus une chanson : c’est une invocation. Le rock y devient rite, la voix se dilue dans le cri, les instruments se répondent comme dans une liturgie païenne. C’est là que Mike Scott touche à ce qu’il cherchera longtemps : une musique qui n’imite rien, mais qui rejoint les sources. Les vraies. Les anciennes. Le morceau ne finit pas, il se dissout. Il s’éloigne comme une bête blessée dans les bois, comme une prière que le vent emporte.

Pas de refrain. Juste une tension, une fureur, un abandon. C’est païen, c’est viscéral, c’est organique. On pense aux grands rituels chamaniques, aux forêts sans fin, aux danses sans spectateurs. La guitare lacère, la batterie invoque, la voix se déchire. Rien ne redescend. Tout reste suspendu. Le disque s’achève sans se clore.


Ce disque est comme un seuil. Il faut l’écouter comme on ouvre un journal trouvé dans une maison abandonnée, ou comme on reçoit une lettre sans expéditeur. Ce premier Waterboys est un appel. À la solitude fertile. À la beauté écorchée. À la musique comme voie d’eau vive, d’errance, de feu. Ce n’est pas une fin. C’est une disparition. Le sillage d’un bateau vu depuis la berge. L’empreinte d’une main sur la brume. Un chant qui continue après que la platine s’est tue.


C’est bien plus tard que je les découvre. L’été 1986 (août). J’ai 14 ans, je suis en short, j’ai chaud, et j’achète mon deuxième numéro de Best dans une maison de la presse de province (à Sauve dans le Gard). En couverture : Robert Smith. J’ouvre, je lis tout, j’apprends. Et au détour d’un papier signé Jean-Michel Reusser, intitulé "Lettres ouvertes", je tombe sur eux. Les Waterboys. Ce nom claque. Je ne sais pas encore que je vais les suivre longtemps. Il y a une photo. Je me souviens de la ganache de Scott. Cette coupe improbable, ce regard (il a un côté Mick Jagger). Il a l’air d’un troubadour mystique, d’un prophète. Il a quelque chose. Quelque chose de trop intense pour mon âge, mais je sais, déjà, que ça va compter.




 
 
 

1 Comment


ricorick
ricorick
Jul 09

ça m’a donné envie d’écouter, je n’ai pas été déçu 🫡

Like
Post: Blog2_Post

Subscribe Form

Thanks for submitting!

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn

©2019 by maymacmusic. Proudly created with Wix.com

bottom of page