En seconde, à mes 16 ans je commençais à construire ma culture musicale. Je l’ai évoqué au préalable, il y a eu différentes rencontres qui ont participé à cette construction. J’ai parlé de mon camarade David G qui m’a ouvert des champs d’investigation phénoménaux. Nous échangions nos disques respectifs. Nous enregistrions des cassettes en pagaille. David avait de nombreux disques. Je ne sais pas où il se les procurait. Je n’en ai aucune idée, mais sa collection était impressionnante. Je ne crois pas qu’il possédait tout ça en vinyl. Il devait lui-même copier. David me fit découvrir des tas de groupes, la liste est immense : Clan Of Xymox, Cocteau Twins, The Essence, New Order, Spear of Destiny, PIL, And Also The Trees et des trucs français comme Norma Loy, Trisomie 21, Kas Product… David était un gars passionnant et passionné, et je me nourrissais de ces conseils d’écoute. Je crois que c’est lui aussi qui m’initia à Joy Division, avec un pirate live crade au possible mais tellement efficace. Cette voix d’outre-tombe et cette basse qui claquait, une révélation. Dans la même classe, j’avais deux copains aussi, musiciens, l’un batteur, l’autre guitariste. Eux, étaient portés davantage sur le Hard-Rock, avec quelques réminiscences keupons (ils étaient fan de Toy Dolls et de punk français genre Oberkampf, Les Collabos, Berus…). Ils habitaient dans mon village (enfin Nono, Jérémy était dans un autre bled à six bornes de là). Nous étions tous au lycée à Vierzon. Ils voulaient monter un groupe. Ils avaient déjà derrière eux quelques années de pratique et ils étaient issus de famille de musiciens. Ils me proposèrent de les rejoindre pour tenir la basse dans leur combo. L’idée était séduisante, mais je n’avais ni basse, ni de formation musicale (si ce n’est quelques mois de solfège au piano effectués durant mon enfance). C’est eux qui me firent découvrir cet instrument à proprement parler. Jusqu’alors j’avais bien identifié ce son si spécifique, mais je ne savais pas comment il était produit. Pendant quelques mois cela resta à l’état de projet. Ils me montèrent bien le moult pendant des semaines. Je découvrais leur monde musical. Ils écoutaient AC/DC à mort, c’était notre point de convergence. J’avais pas mal écouté, plus jeune. Je connaissais bien ce groupe, mais plutôt la période "Back in Black", moins les albums précédents, ceux avec Bon Scott (bon j’avais quand même "If you want blood you’ve got it"). Ils me firent découvrir "Dirty Deeds Done Dirt Cheap", "High voltage", "Highway To Hell", et puis tout un tas de projets avec lesquels je n’étais pas très familier comme Saxon, Judas Priest, Accept, Led Zep, Black Sabbath, et tant d’autres… Je me voyais tirailler entre mes goûts initiaux plus New Wave, Post-Punk et leurs références. Après des mois d’attente, je finissais par convaincre mes parents de me payer une basse. C’est même mon père qui me la finança. J’avais trouvé une petite annonce d’un gars qui en vendait une à Vierzon. Une "Duke", blanche. Elle coûtait 1000 Frs. J’étais aller la voir, elle me semblait globalement en bon état, mais je n’avais pas pu la faire sonner… J’étais un peu angoissé à l’idée d’acheter un instrument ne fonctionnant pas, d’autant que le gars me semblait un peu louche. Je crois que je l’avais payé en liquide. J’étais rentré à la maison avec elle, un soir après le lycée. Dans son carton. Je n’avais pas d’ampli. Jérémy et Nono, mes deux potes m’avaient dit que dans un premier temps on se débrouillerait avec un ampli guitare. J’avais d’ailleurs je crois commencé à officier avec eux, avec une guitare, en jouant sur une corde, la première et en alignant 4 notes. Quand j’y repense, cela devait être affligeant. Je partais de rien. Mais j’avais de la bonne volonté et surtout de l’enthousiasme.
Polaroid de répet, photo prise par Fred en 89
Nous répétions chez Nono, au-dessus du garage, dans un grenier débarrât. Je me souviens il y faisait très froid. Nono lui tapait comme un sourd sur sa batterie, et il était rapidement en sueur. Jérémy envoyait de la distorsion et enchainait ses solos à bloc, quant à moi j’étais frigorifié, et j’essayais de ne pas me planter dans mes notes. C’était un peu laborieux. Nous reprenions quelques morceaux de leur répertoire. Des titres pas trop complexes, pour que je puisse suivre. C’est ainsi que le "Johnny be good" de Berry fût sans doute un des premiers titres que j’appris, avec "La Grange" de ZZ Top. Nos "répéts" se déroulaient le samedi après-midi souvent et j’allais chez Nono en vélo, avec la basse dans un sac à dos. Je crois que c’est à partir de là que j’ai définitivement arrêter le football et commencer à fumer des clopes. Musicalement j’étais un peu frustré. Je ne pouvais pas trop faire prévaloir les trucs auxquels j’aspirais. Ce n’était pas vraiment leur tasse de thé, si je leur parlais de The Cure, ils me disaient que c’était trop mou. Je mis du coup mes velléités de côté, et je me conformais aux orientations prises. Après tout c’était eux les musiciens. Moi je devais apprendre. Avec la basse entre les mains, je passais un cap. Je jouais plus fort, on m’entendait davantage, peut-être trop parfois. D’autant que je jouais toujours sur l’ampli guitare et Nono et Jérémy me baissaient régulièrement, de peur que je pète l’ampli, et puis aussi parce que je couvrais quelques fois Jérémy. Ce n’était pas facile à trouver le réglage idéal. On commençait à composer aussi. Enfin mes potes plutôt. Ça sonnait plus Punk. Je m’y retrouvais davantage. Notre registre était au final, peu à peu représentatif de ce que nous écoutions respectivement chacun de notre côté. Jérémy découvrait des guitars heroes tel que Yngwie Malmsteen ou Joe Satriani, moi les Pixies ou les Minutmen, Nono Halloween et des trucs de la discographie de son père comme Queen, Black Sabbath, Deep Purple, Rainbow… Un mélange improbable. Nous fûmes rejoints par un gars David D (pas le même vu plus haut). Lui était un peu plus vieux, il était en terminale. Nous, on était passé en première. Il jouait de la guitare et chantait. Il était fan de Cure, d’Echo&The Bunnymen. Il était en lettres et langues, et maitrisait plutôt bien l’anglais. Il mettait du flanger sur tous ces morceaux et jouaient de jolis accords. Ce fût un choc, Jérémy n’était pas fan, mais notre aventure continua ainsi. Nos compositions prirent une tournure plus éclectique, moins pêchues, plus nuancées. J’avais trouvé un interlocuteur en la personne de David plus proche de mes aspirations. On se dénommait les DJAC Band. C’est sous ce nom que nous sommes montés sur les planches une première fois, dans une petite salle des fêtes d’un bled en Sologne. Dans l’après-midi, un samedi. Notre premier concert. Nous avions fait des affiches, que nous avions placardé au lycée et en ville. Dans mon souvenir, la salle était pleine. Tous nos potes étaient là. Quel moment de grâce. Je n’en menais pas large, mais ce fût, du haut de nos 16 balais, un grand moment de faire écouter nos compositions et de jouer ensemble. Un moment de communion auquel je n’avais jusqu’alors jamais goûté.
1er concert...
Nos copines respectives étaient là. En tout cas je me souviens de la mienne (y avait même celle d’avant). Une époque dorée, de l’adolescence, où la musique commençait à prendre une place chez moi grandissante, voir prépondérante. Je ne voyais que par ça. Par ce que j’écoutais, par ce que je jouais. Cela n’arrangea pas mes affaires quant à mes relations parentales, ces derniers me reprochant de ne penser qu’à ça (et aux filles aussi) et pas assez à mes études. Et ils avaient raison. Ma copine d’alors, celle-là même qui était au concert était à fond dans la scène dite rock alternatif, elle était une convaincue des Satellites, Les VRP, Les Nonnes Troppo, Mano Negra et autres Négresses Vertes. Elle avait un groupe d’amis qui s’illustrait par son attachement à des looks iconoclastes et ces musiques hybrides (Punk, Traditionnel, Flamenco, Gitan). Ils avaient tous des tenues originales et des coiffures aussi. Ils s’habillaient dans des fripes, achetaient des fringues de vieux qu’ils remettaient au goût du jour (chemise, gilet, pull camionneur), qu’ils mêlaient à des Teddy, des Harrington, des Dr Martens. J’aimais bien ça. Musicalement c’était moins mon rayon. Même si des choses me plaisaient (l’album de la Mano "Patchanka" je l’ai tout de même bien rincé à l’époque)… Moi je venais de découvrir les Saints, les Real Kids et les Modern Lovers, ou même les Stooges. Dans cette bande, elle avait un copain, Stéphane M. On l’appelait Mimile. Il était bien plus vieux que nous. Il était pion. Il avait un style bien à lui, que j’affectionnais particulièrement : Harrington beige, doc bordeaux, jean. Une coupe de cheveux à la Morrissey, et une gueule entre Mickey Rourke et le chanteur des Smiths justement. Je le croisais de temps à autre en compagnie de ma copine. Ils avaient l’habitude de se rendre à des concerts. On discutait de musique et ce mec avait une culture incroyable, il parlait bien et avait beaucoup d’humour. Je m’apercevais rapidement que lui non plus n’était pas forcément un dingue de la scène alternative et qu’il était bien plus anglophone que je ne le croyais. Nous échangions régulièrement sur nos socles communs ou pas, je tenais un interlocuteur averti. C’était un lecteur des Inrocks, première mouture. Je crois que c’est lui qui me parla des Stones Roses pour la première fois. Il me fît d’ailleurs une copie de leur album et j’écoutais ça bloc, comme un fou, c’était en 88. Un jour, je ne sais pas pour quelle raison, je suis passé chez lui avec ma copine. J’eus le plaisir insondable de mettre les pieds dans sa chambre. C’était incroyable. Il possédait une collection de vinyls, que jusqu’alors je n’avais jamais eu l’occasion de voir. Un truc de dingue, comme dirait l’autre… Des skeuds en vois-tu et en voilà… C’est ce Stéphane qui me brancha sur Jesus And The Mary Chain, sur leur "Psychocandy" et le "Darklands". Il écoutait beaucoup ça, et il me mit ces disques sur sa platine. La déflagration… Une révélation. Quel son, quelle mélancolie malgré le bordel sonore. Il enchaina avec My Bloody Valentine et leur "Isn’t Anything"… Une nouvelle bascule s’opérait. Stéphane possédait sans doute une des plus belles discothèques qu’il m’est été donné de croiser dans mon cheminement, et je ne sais pas ce qu’elle est devenue, ni ce qu’il est advenu de son détenteur. Dans tous les cas, cette rencontre participa sans nul doute à cette construction culturelle. Je jalousais secrètement cette collection, en me disant que j’aimerai bien sûr avoir la même. J’aurai tout copié, il n’y avait que des chef d’œuvres, dont pour un bien grand nombre, je n’en connaissais absolument pas la valeur (artistique, et aujourd’hui pécuniaire). Je perdis de vue Stéphane, mais j’avais quelques cassettes en ma possession, et quelques albums qui restent attachés à cette période "Daydream Nation" des Sonic Youth, "Bummed" des Happy Mondays, du Chameleons aussi et pleins d’autres. Stéphane M, un de mes passeurs à moi, au même titre que David G et l’Oncle du copain de mon frérot. L’histoire était en marche, la mienne et de mon lien ténu avec la musique.
Notre groupe changea de nom, le père de Nono nous avait aménagé un local digne de ce nom dans le grenier (plus chaud, isolé). Les répétitions s’enchainaient et pourtant c’était déjà le chant du cygne. Nous fîmes un second concert en compagnie d’autres «bands». C’était le soir cette fois-ci. La salle était immense, et là il n’y avait pas grand monde. Nous étions mieux rodés et notre set tournait mieux. Le nombre de chansons était plus conséquent. Nous ne le savions pas, mais c’était notre dernier "live" ensemble. La soirée fût dantesque, bien arrosée et enfumée. Je me souviens d’être arrivé à la bourre sur scène, alors que mes compagnons me cherchaient partout, j’étais afféré à d’autres occupations (ah aha) et je n’avais pas vu le temps passer… Quelques temps après nous avons essayé de continuer avec David, le guitariste, mais sans résultat probants. Jérémy et Nono continuèrent leurs aventures dans d’autres projets et là encore nous nous sommes peu à peu éloignés. David, lui, rêvait de faire un truc bien New Wave, mais ça tombait à l’époque avec son départ du coin pour une école de Stewart sur Paris. On se voyait souvent, on sortait souvent (il avait le permis et s’était acheté une 304 d’occas bordeaux), on déconnait beaucoup, mais notre projet ne vit jamais vraiment le jour. David composait tout, et pour le coup, cette fois-ci ça me correspondait davantage. Il voulait que l’on fasse des trucs dans le même genre qu’Opera Multi Steel ou Profiltextes des groupes originaires de Bourges. On en est resté là. On écoutait surtout The Cure, les premiers albums, la trilogie "Seventeen seconds", "Faith" et "Pornography". David avait les vinyls, il me les avait laissés longtemps à la maison. Je les écoutais le soir, au casque… On se voyait moins, il était avec une nana sur Paris et était pris par ses études. Peu à peu nous nous sommes perdus de vue… Au lycée j’avais croisé d’autres gars, plus jeunes (bien que je ne sois plus très sûr) mais férus de son également. Je pense notamment à un gars, dénommé Emmanuel L. Il avait des converses, un jean qui collait, des lunettes, il était grand et des cheveux devant les yeux. Lui était plus ricain dans les influences. Je ne faisais que le croiser, nous avions des connaissances communes. Je ne l’ai jamais fréquenté, mais de temps en temps nous parlions musique. Et là, il me donnait des références que je ne connaissais absolument pas. Un jour il me fît passer une cassette, en me disant "écoute ça c’est du bon". La cassette était une compile de morceaux de Buffalo Tom et de Lemonheads… ça déménageait sévère, c’était rapide, énergique et en même temps désespéré. Je ne savais pas à quels albums ces morceaux appartenaient, et la cassette était une tuerie… Je ne m’en lassais pas, je l’écoutais très souvent dans mon petit walkman, dans le bus, en marchant. Un autre groupe qu’il me fît découvrir ce fût Dinosaur JR, là aussi un choc. La voix plaintive de Mascis, les solos interminables (ça aurait plu à Jérémy), et des morceaux mélodiques mais bruyants. C’était de nouvelles perspectives, de nouveaux champs d’investigations, et Emmanuel participa à son niveau à cette ouverture. Depuis longtemps je crois aux rencontres, aux rencontres destinales. Celles qui ont une incidence sur votre parcours de vie. Dans les apprentissages et dans la construction de notre socle culturel, elles y participent activement… Ici maintenant et encore, je souviens de David G, Jérémy, Nono, David D, Mimile, Emmanuel L, qui chacun à leurs manières, sans s’en rendre compte, m’ont nourri d’espérances, d’envies, de passions et d’émotions. Merci à eux.
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