L'album de XTC "Mummer" a une saveur et résonnance pour moi, particulière. Je me souviens d'être allé avec mon ami Jésus sur Bourges, nous promener. Je crois que mon père nous avait amener. Je devais avoir 16 ans par là. Nous déambulions Rue Moyenne, l'artère principale de la ville avec tous ses commerces. C’était l’occasion d’aller à la "ville", de faire un peu de lèche-vitrine et de sortir de notre petit village solognot. Bourges est une belle ville. Avec sa cathédrale bien sur St-Etienne, et ses ruelles aux maisons à colombages, rue Mirebeau, place Gordaine, ses hôtels particuliers renaissance et tant d’autres trésors.
Nous étions rentrés dans Les Nouvelles Galeries ou les Galeries Aubrun, je ne sais plus. A l'époque, il y avait des espèces d'immenses bulles en plastique où se trouvaient des centaines de cassettes en vrac à des prix plus ou moins modérés. C'est une époque où je n'avais pas un kopeck. Difficile de demander de l'argent de poche pour acheter des clopes. J'avais fouillé ces réceptacles de cassettes, et j'étais tombé sur cet album. J'avais entendu parlé du groupe, mais je n'en connaissais rien. J'avais hésité quelques minutes, puis je mis la cassette dans la poche intérieure de ma veste, sous les yeux inquiets mais complices de mon acolyte Jésus. Nous fîmes mine de sortir le plus naturellement possible et sitôt dehors, nous nous escampâmes rapidement des lieux. Un triomphe de bêtises, mais un triomphe quand même et un miracle (mais j’avais Jésus avec moi…).
Quand j'eus l'occasion d'écouter la cassette, je fus un peu surpris par la musique proposée, et quelque peu déçu d'avoir pris des risques inconsidérés, pour finalement des morceaux étranges et qui ne m'enthousiasmaient guère. Puis avec le temps, l'album se révéla à moi, plus passionnant qu'il n'y paraissait aux premiers abords. Au point de l'écouter inlassablement, et avec l'envie de découvrir toute la discographie du groupe d'Andy Partridge. Il s'agissait là d'une Pop raffinée et aérienne avec des influences multiples, qui m'avait dérouté dans un premier temps : musique africaine, Dub, musique médiévale... Depuis cette cassette a disparu, jetée dans une benne à mon grand regret, et je me suis acheté la version vinyl, lors de pérégrinations à Sienne, en Italie il y a quelques années (j’étais tombé en effet sur un disquaire fantastique). XTC, aujourd’hui n’a plus trop de secret pour moi, et j’ai depuis longtemps écouté l’œuvre du groupe dans sa quasi-totalité. Avec le recul "Mummer", apparaît comme un disque fondamental dans l’œuvre du groupe, un disque de transition, avec l’abandon d’une veine plus énervée, plus Punk, et le début d’une ère de Pop soyeuse, complexe et libérée de tout conformisme. Je repense avec émotions, à ce petit épisode transgressif, qui m’a permis de découvrir l’un des groupes anglais les plus passionnants.
A Bourges, j’avais repéré un disquaire, La galerie du disque. C’était vers le haut de la rue Moyenne. Le gars qui était dans la boutique n’était guère avenant. Mais peut-être était-ce dû à mon jeune âge, et à ma discrétion inhérente à cette période. J’y trouvais quelques trucs, en fonction de mes finances du moment. Il y avait encore une large place consacrée aux cassettes, les vinyls se réduisaient comme peau de chagrin, au fur et à mesure de mes visites au profit du Cd. C’était cette fameuse époque on l’on voulait nous faire croire que ce format allait disparaître. C’est là-bas que je fis l’acquisition du premier album de The Smithereens "Especially for you" en cassette, quel souvenir. Ce disque va m’accompagner longtemps, et continue d’ailleurs de le faire. Je reviendrais sur ce disque spécifiquement, dans un avenir plus ou moins lointain, constatant encore une fois, qu’il n’existe rien sur la toile sur cet opus et très peu sur le groupe au final. J’y ai chopé également de mémoire un Cd compilation des Jam, le premier Franck Black toujours en cd, un Lp de Chris Spedding, Le premier album des Stiff Little Fingers en Cd, le sublime "Mother Juno" des Gun Club, une cassette des Stranglers et de leur album "Dreamtime" (j’avais projeté d’ailleurs d’aller voir une retransmission d’un concert d’eux au cinéma d’Aubigny sur Nère, mais finalement cela ne s’était pas fait), peut être le Lp de Midnight Oil "Diesel and Dust" dont je suis moins fier et qui fait partie des écarts mal assumés, de mon parcours (en 88 je crois qu’ils jouent au printemps de Bourges en compagnie de Noir Désir). J’avais d’ailleurs acheté le premier Lp des bordelais "Où veux-tu qu' je r'garde" en 1986, date de sa sortie, toujours chez ce même disquaire.
Bourges, c’est surtout pour les gens Le Printemps de Bourges, ce festival qui attire en avril depuis 1977 (il ne fait jamais vraiment beau, il ne fait jamais vraiment chaud) des tas de types, venus des quatre coins de la France et d’ailleurs.
Ce n’est ni Jacques Cœur, ni Charles VII ("le petit roi de Bourges"), ni son fils Louis XI, roi de France né dans cette ville, ni les Bituriges (les rois du monde), ni la première maison de la culture inaugurée par Malraux, qui ont fait de Bourges (et qui portera le festival d’ailleurs un moment), une cité repérée par le plus grand nombre… Les festivaliers déferlant sur la capitale du Berry n’en ont que faire de l’histoire, et je ne sais même pas s’ils connaissent le nom des habitants de la ville (les Berruyers, non non pas les Béruriers)… Quoi qu’il en soit, le festival est sans doute un des plus vieux de l’hexagone, et a acquis une notoriété sans précédent dans le paysage de la production et du spectacle. Quand je suis arrivé en terre berrichonne en 85, je ne connaissais absolument pas cet événement. C’est mon père qui m’en a parlé la première fois et qui m’y a intéressé… Au départ très francophone, c'est sur l'édition de 1982 que le festival s'est ouvert aux formes musicales plus internationales et à différents styles.
En 1985, il y avait eu les Cocteau Twins, en 1986 Talk Talk, en 82 The Cure, Orchestre Rouge ou Echo & The Bunnymen en 84, Gun Club en 83… Je n’étais pas encore dans le Cher à cette époque-là et de toute manière j’étais trop jeune pour y assister…
Et je crois que pour l’édition de 86 (toujours en avril), mes parents me payèrent ma première place de concert pour voir James Brown… Qui n’est jamais venu… Annulation pour rage de dents… Remboursement et compagnie. Et dire qu’il y avait Talk Talk, Fine young Cannibals et les Cramps… C’était l’époque où le Printemps voyait gros, ça ne leur a pas toujours réussi, et surtout ça coûtait cher…
C’est en 88, que j’ai commencé à fréquenter le festival assidument. Premiers concerts, avec quelques ratés malheureusement (mauvais choix, méconnaissance…). En 88, mon fréro Eric était venu passer quelques jours à la maison. Pour l’occasion nous avions réservé des places pour voir The Mission, Marc Seberg, Kas Product, Stephan Eicher, en plein après-midi… C’était mes premiers concerts, et j’étais aux anges de partager ça avec Eric. Je me souviens encore de ce plaisir de pouvoir déambuler dans cette enceinte organisée autour de Séraucourt. Quel bonheur d’y croiser des milliers de gens, avec parfois certains aux tenues extravagantes, du son partout, une frénésie palpable et communicative. Le public se croisait : simples badauds, festivaliers sortant d’un concert ou d’une scène découverte, des stands de bouffe rapide, de tee-shirts, de sacs, de drapeaux, de skeuds, une effervescence soudaine sur quelques jours dans cette bonne vieille ville, si calme en temps ordinaire… Pour un jeune gamin comme moi, sortant de sa campagne cévenole c’était invraisemblable et jubilatoire. Je découvrais par la même occasion les joies du live, l’attente pour accéder à la salle, l’agitation caractéristique pendant le concert, la musique amplifiée démesurément, les attitudes des artistes, les scénographies. Un grand moment, et un souvenir ému et impérissable, avec l’immense satisfaction de se sentir grand et indépendant.
Les débuts... Bullit & KO cat...
Pour les concerts j’avais fait un choix, je ne pouvais pas tout voir. J’avais hésité longuement, il y avait les Thugs aussi à cette édition, The Nits, Passion Fodder aussi, Le Cri de la Mouche, Kid Pharaon et dans les découvertes (un des points forts du festival, cet espace dédié aux projets plus méconnus et une de ses caractéristiques) il y avait même les Jivaros Quartet… The Mission reste le concert le plus décevant. Je ne connaissais pas vraiment, j’avais juste lu des chroniques et surtout il s’agissait d’ex membres des mythiques Sisters of mercy… Le son y était très fort et inaudible. Les chansons ennuyantes, je ne sais plus qu’il y avait avec The Mission, je me demande si ce n’était pas Aubert and co… L’autre concert avec Marc Seberg, Kas Product et Stephan Eicher était bien plus réussi… Je me souviens de cet instant merveilleux en compagnie d’Eric, et le plaisir de voir Philippe Pascal en chair et en os, nous qui adulions Marquis de Sade et Marc Seberg depuis quelques temps déjà. Le live avait été extraordinaire, même si j’étais moins emballé par les disques "Lumières et trahisons" auquel je préférai l’urgence de "83"… Quant à Kas Product, ce fût magique, même si je ne comprenais pas tout… Eicher quant à lui m’avait peu marqué…
Autre grand moment pendant ce premier printemps de Bourges, ce fût notre participation à la foire aux disques à la Halle au blé. Là, nous avons passé une après-midi entière à fouiller des caisses de disques pour notre plus grand bonheur. Je n’avais jamais vu un tel rassemblement de vendeurs, et le choix était considérable. Très vite je fus enivré, et j’en perdais la tête, comment faire ? Impossible de tout acheter, et la situation est devenue rapidement intenable et cornélienne. Quoi prendre ? Au fur et à mesure que j’avançais dans les allées, je découvrais un nouveau Lp à acheter… Et ma bourse n’était pas extensible… Je me souviens encore des quelques disques achetés au final, le premier AC/DC "High voltage" en version australienne pour la somme modique de 10 Francs. Et puis le "Miami" de Gun Club, le "The Queen is dead" des Smiths… Et je n’avais plus rien (j’avais flambé mon billet de 100 balles). Eric mon fréro me fit un cadeau, le "Last Vegas Story" du Gun Club toujours… Je crois que lui avait acheté le premier Smiths… Après je ne sais plus. Je me rappelle juste de cette excitation commune qui nous animait et de la joie qui devait se lire sur nos visages. Nous étions rentrés le soir, rincés et heureux.
Par la suite j’ai eu l’occasion maintes fois de me rendre au Printemps de Bourges, voir des concerts : The Kinks, Iggy Pop, Mudhoney, PJ Harvey, Cypress Hill, The Breeders, Tindersticks et bien d’autres (j’ai quand même raté Nick Cave en 89 et pleins d’autres trucs, je ferai sans doute bien d’autres choix aujourd’hui)… Une longue histoire. J’ai eu l’occasion d’aller à la foire aussi, et d’acquérir encore des disques. J’attendais ce rdv toute l’année…
Bien plus tard, j’appris qu’à Bourges il n’y avait pas que Le Printemps… En effet une association du nom d’Emmetrop œuvrait depuis longtemps sur le territoire, au quotidien, tout le restant de l’année. Dès lors, c’est ainsi que s’offrit à moi la culture underground, en tout cas plus souterraine, qui devait pour le coup, m’ouvrir la voie de mes activités personnelles futures.
T’as retrouvé les billets de concert frero !?