Août 1986, je vais acheter pour la deuxième fois la revue Best à la presse de Sauve, place Florian (le Fabuliste, neveu de Voltaire est né à Sauve). Cette fois-ci c'est Robert Smith en couv, après Bowie le mois précédent...
Le sommaire est alléchant...: Alphaville, Depeche Mode, Madonna, Waterboys, Pogues, en plus de l'interview de The Cure bien sûr et d'un article sur Attitude records...
Tout ça était nouveau pour moi, je ne comprenais pas tout, mais j'essayais d'en tirer profit...
La seule frustration, et pas des moindres, était finalement de lire des trucs sur des projets, auxquels je n'avais aucun accès. Ah si j'avais eu un grand frère (ou soeur) avec une discothèque bien remplie, ou alors si le net avait existé, j'aurai pu gagner pas mal de temps... Mais à chaque époque sa débrouillardise... La mienne était la copie sur cassette...
J'avais bien évidemment lu les chroniques en fin de revue... J'avais bien repéré celle de Georges Daublon sur le groupe irlandais dont il est question aujourd'hui, parmi quelques autres (Durruti Column et leur "Circuses and Bread", du même auteur d'ailleurs, le premier Parabellum, le "True Blue" de Madonna, "Watchning the film" de The Flaming mussolinis...).
Le nom à rallonge du projet des frères O'Neill, m'avait sans doute interpellé... Un nom qui claquait, et qui me semblait bien énigmatique... Parfois ça ne tient pas à grand chose.
J'avais noté ce disque, quelque part dans un carnet, en me disant que peut être un jour, je tomberai dessus, par le plus grands des hasards. J'avais noté le disque, d'autant que Daublon, dans son papier évoquait les Undertones, et la magie des références avait opéré... Quelques mois plutôt, grâce à l'oncle du copain de mon frérot (voir les précédents billets), j'avais pu écouter, et enregistrer l'album "Hypnotised"(je reviendrai peut être un jour sur ce "brûlot")...
Puis les années sont passées, sans que j'eus la moindre opportunité de jeter une oreille sur ce "Manic Pop Thrill". Jusqu'à ma première année de lycée. Là aussi je l'ai déjà évoqué, mais en seconde j'avais rencontré un gars, David G, qui avait entrepris de me faire découvrir un large "pan de la musique moderne" (ah aha)... David, non de dieu, une de ces rencontres, qui comptent (destinales ?)... Inutile de revenir dessus, mais entre The Essence, Public Image, Clan of Xymox, And Also the trees, Trisomie 21, Norma Loy, Joy Division, New Order, voilà que mon pote me proposait l'album de That Petrol Emotion... Non... Quelle joie, c'était inespéré... Je ne savais pas où se fournissait David, comment il arrivait à faire toutes ces copies, mais peu importe, je prenais...
Bien deux ou trois ans après la sortie de l'album (d'ailleurs entre temps il était sorti 3 autres albums), je découvrais enfin le phénomène.
"Manic Pop Thrill" est donc le premier album d'un groupe irlandais (nord-irlandais), né sur les cendres des Undertones (dit plus haut)... Tandis qu'au même moment, Feargal Sharkey (chanteur des Undertones) se morfond dans une Pop guimauve et fleur bleue, les frères O'Neill (Damian et John), eux, avec des membres d'autres groupes de Derry (Bam Bam,The Calling et Derry Hitmakers), et avec un chanteur américain Steve Mack, se réunissent en 1984, pour en découdre et proposer un rock incandescent et dissonant, mais pas seulement...
Ce premier disque sort sur Demon records (énorme label où l'on retrouve Elvis Costello, Ian Dury, John Foxx, Jesus and Mary Chain, Blancmange, Dead or Alive...). Il semble que le groupe ait frappé fort, d'après les papiers de l'époque. La presse semble unanimement avoir loué ce premier essai, et le groupe se fit même remarquer par le fameux John Peel, et encenser par des gars comme Robert Smith ou Robin Guthrie... Bien sûr de tout ça, je n'en savais rien, et quand j'eus l'occasion de mettre cette cassette dans mon lecteur, mon impatience était vive, ma curiosité à son firmament... N'y allons pas par quatre chemins, "Manic Pop Thrill" est un disque majeur dans mon parcours musical (et je suis convaincu que c'est un disque majeur tout court). Les critiques ont souvent évoqué That Petrol Emotion, comme un groupe fondamental, novateur, en avance sur son temps. Sans aucun doute.
Ce premier disque annonce la couleur, et trace le sillon d'une discographie impeccable et atypique. Ici avec "Manic Pop Thrill", les frères O'Neill et leurs compères ouvrent la voix à des veines musicales diverses (Noise, Indie, Britpop ?), en précurseurs...
En 88, quand Stéphane, enfin me transmit cette cassette, That Petrol Emotion fût une révélation. C'était la même année pour moi, que la découverte de Jesus and Mary Chain.
Et je trouvais ces deux groupes complémentaires, jouant sur les mêmes registres, mais pas tout à fait... That Petrol me semblait plus iconoclaste (musicalement), plus aventureux...
Moins mur du son que les écossais, peut être plus nuancés aussi, les irlandais proposaient une musique complexe (y a un côté Television, Pere Ubu), à la fois tendue, nerveuse (surtout la face A), et parfois des climats plus Pop, plus calmes et mélodiques. Ce fût sans doute pour moi, l'un des premiers disques difficiles, qu'il me fût permis d'appréhender... Un disque qui ne se révèle pas totalement dès la première écoute, et qu'il faut passer plusieurs fois pour en déceler toute la richesse. Il y a des titres plus accessibles que d'autres bien sûr, mais globalement "Manic Pop Thrill" est de ces œuvres qu'il faut mûrir peu à peu, et qui 35 ans plus tard, ont gardé toutes leurs forces et leurs inactualités. Il est étonnant que ce groupe n'est jamais réussi à s'imposer comme un modèle du genre. Assez peu cité, tout juste évoqué, et pourtant fondateur, That Petrol Emotion reste un écrin de la musique moderne, influençant de nombreux autres groupes (me semble t'il), sans le savoir.
De la fureur, du bruit, du dérapage contrôlé, de la tension, des ballades aussi (irlandaises), de l'engagement (avec des textes bien politisés), de l'énergie, sur fond de mélancolie et de de neurasthénie, That Petrol Emotion s'illustre par son originalité et son efficacité, à la croisée de chemins (Indie, Post-Punk, Noisy...).
Bien des années plus tard, enfin, je mis la main sur la version vinyl de l'album, pour mon plus grand bonheur, et le disque depuis tourne régulièrement sur ma platine, prenant une ampleur phénoménale dans mon panthéon musical personnel.
Je vous invite bien sur à découvrir le reste de la discographie : "Babble" et "End of the millenium psychosis blues" , notamment, respectivement 2ème et 3ème album qui suivront, avec des telescopages inattendus, et des incursions dans des styles divers (Hip-Hop, Funk, Dance...).
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